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Brochet : où va-t-il après la fraie ?

Première montée des eaux sur la Saône et température en chute libre. Les conditions idéales pour que les brochets entament leur migration hivernale.

Crédit photo Lyonel Chocat
Les brochets effectuent pour certains de longs déplacements en hiver, soit pour gagner des postes plus calmes lors des crues des cours d’eau, soit pour trouver des zones de reproduction. Ces déplacements ont-ils un impact au moment de l’ouverture fin avril ? Réponses exclusives d’un scientifique.

En juin 2023 nous vous avions présenté les premiers résultats d ’une étude scientifique sur le brochet et ses déplacements sur la Seine dans l’Aube. Surprise, nous apprenions que ce poisson parcourt en moyenne 11,9 km lors des premières crues automnales, le plus souvent vers l’amont afin de trouver des postes pour passer l’hiver plus à l’abri et se rapprocher des frayères. Étonnant et intéressant ! Mais, du coup, quand revient-il sur ses secteurs estivaux ? Cela peut-il avoir un impact sur les densités et la répartition de ce beau carnassier fin avril au moment de l’ouverture ? J’ai demandé à Cédric Pradeilles, responsable technique de la fédération départementale de la pêche de l’Aube de nous livrer les résultats et hypothèses de cette étude sur ce sujet.

Cédric Pradeilles, responsable technique de la fédération départementale de la pêche de l’Aube.
Crédit photo : Fédération départementale de pêche de l'Aube

Cédric, pouvez-vous nous rappeler le contexte de l’étude, pourquoi avoir choisi de suivre des brochets ? Est-ce une espèce plus sensible ou est-il un indicateur du fonctionnement des milieux ?

Cédric Pradeilles : Le brochet est une espèce classée vulnérable à l’échelle nationale. Son cycle de vie le rendant tributaire des hautes eaux hivernales pour se reproduire sur les prairies immergées implique un parfait équilibre des systèmes fluviaux composant son habitat naturel. C’est pourquoi les fédérations de pêche le qualifient d’espèce repère. Par sa présence, il témoigne de la bonne santé des rivières. Pour préserver cette espèce, il faut comprendre et connaître son comportement et ses exigences tout au long de son cycle de vie. Cette étude entre dans le cadre d’un programme sur trois ans (2019 à 2021) à l’échelle du bassin-versant de la Seine. Elle était pilotée par l’Union des fédérations du Bassin de Seine-Normandie (UFBSN). Le but était d’étudier le comportement du brochet dans différentes configurations de milieux (ouvrages infranchissables, zones canalisées, marais…) tout en mettant en avant des secteurs ayant fait l’objet de restaurations par les associations de pêche. Les fédérations de Seine-et-Marne, du Calvados, de l’Aisne et de l’Aube ont à tour de rôle suivi une population de brochets sur un an.

La Seine et ses annexes ont été le théâtre de cette vaste étude portant sur les déplacements des brochets en milieu naturel dans l’Aube. Très instructif ! 
Crédit photo : Fédération départementale de pêche de l'Aube

Combien de brochets ont été équipés de dispositifs permettant de les localiser ? Quelle a été la taille de la zone suivie ?

C. P. : Notre fédération de pêche a assuré la réalisation de l’étude auboise sur un secteur de Seine de 14 kilomètres aux aspects sauvages au sein de la Bassée champenoise, dans le nord du département. Ce site d’étude a été choisi pour son caractère préservé offrant des conditions de références et abritant quatre annexes hydrauliques restaurées par la fédération de l’Aube. Chaque brochet suivi était sexuellement mature (50 cm minimum) et issu du milieu, capturé grâce à une pêche électrique réalisée sur site. Ils ont été équipés d’un émetteur envoyant une onde sonore codée et unique. Les quarante-deux individus marqués ont été suivis 24 heures sur 24 par huit micros immergés sur le secteur d’étude. Les zones non couvertes par ce dispositif étaient prospectées une fois par semaine à l’aide d’un micro mobile embarqué sur un bateau. Afin d’analyser le comportement des brochets, nous avons enregistré leurs paramètres biométriques (taille, poids, âge et sexe). Nous avons aussi suivi certaines variables environnementales (température de l’eau et débit) pour analyser leur rôle dans le déclenchement des déplacements. Il est important de préciser que cette étude rentre dans une démarche scientifique d’acquisition de connaissances sur le brochet. Les résultats ne nous permettent pas d’affirmer des processus, mais d’émettre des hypothèses et de dégager des tendances.

Les brochets marqués furent suivis grâce à un réseau d’hydrophones immergés sur tout le parcours de la Seine concerné.
Crédit photo : Fédération départementale de pêche de l'Aube

À quelle saison débutent ces phénomènes de déplacements ou de migrations et qu’est-ce qui les déclenche ?

C. P. : Tout d’abord, il faut savoir que les déplacements analysés dans notre étude son ceux supérieurs à deux kilomètres. Quand on a conçu le protocole, on a dû délimiter un cadre et faire un choix de matériel. Nous nous sommes tournés vers une technologie nous permettant d’enregistrer les grands déplacements et non ceux effectués quotidiennement par les individus. Nous avons enregistré des déplacements dès les premières semaines de suivi en automne. Il est difficile de distinguer une saison de début des mouvements. Ils peuvent être associés à divers besoins au cours de l’année en fonction du milieu entourant les individus (reproduction, nourriture, abris…). Toutefois, nous pouvons dire que les mouvements liés à la reproduction entourent la période hivernale, mais de manière plus ou moins ample selon les individus. Il est difficile de comprendre le comportement des poissons en fonction d’un calendrier précis. C’est pour cela que nous avons étudié les variations des températures et des débits. Lors de ces analyses, nous avons pu constater des relations entre la fluctuation de ces paramètres et le déclenchement des mouvements, mais la lecture de ces stimuli semble dépendre de l’objectif du déplacement.

Cette grande femelle fut capturée le jour de l’ouverture 2023. C’est une satisfaction de constater que le milieu produit de beaux sujets, témoignant du bon état naturel. 
Crédit photo : Lyonel Chocat

Vers quels secteurs se dirigent les brochets lors de la montée des eaux et du refroidissement de ces dernières ?

C. P. : Notre étude ne nous permet pas d’identifier des secteurs précis. Ce que l’on a constaté, c’est que la majorité des déplacements en direction de l’amont ont lieu lors d’une augmentation du débit et d’une baisse de la température de l’eau et inversement pour les mouvements en direction de l’aval. De nombreuses études montrent des relations entre l’augmentation des débits et les phénomènes migratoires. Dans notre cas, l’augmentation des débits intervenant avant la période de reproduction, nous pouvons penser que ces migrations vers l’amont se font en direction de secteurs favorables à la fraie. Ces déplacements précéderaient la migration des individus dans le lit majeur pour accéder aux frayères.

Ces déplacements, assez longs pour certains, peuvent avoir de gros impacts sur la pêche. Des secteurs complets peuvent se vider en hiver.
Crédit photo : Lyonel Chocat

Avez-vous noté des différences dans les déplacements au sein des brochets suivis, au niveau de la taille des individus ou de leur sexe ?

C. P.: Lorsque nous avons comparé le déplacement des individus en fonction de chaque caractéristique biométrique de manière indépendante, nous n’avons pas trouvé de lien. En revanche, en étudiant le profil comportemental des brochets (chronologie et amplitude des déplacements) nous avons pu les classer en quatre groupes :

  • Groupe 1 : huit individus ont effectué un mouvement migratoire avant la période de crue;
  • Groupe 2 : neuf individus ont effectué une migration en aller simple durant la période de crue;
  • Groupe 3 : dix individus ont effectué une migration en aller-retour durant la période de crue;
  • Groupe 4 : dix individus n’ont pas effectué de migration.

Si on regarde les caractéristiques biométriques des individus composant les groupes 2 et 3, on s’aperçoit que le deuxième groupe est composé majoritairement de mâles et inversement dans le groupe 3 qui comporte majoritairement des femelles. Plus intéressant encore, le troisième groupe contient exclusivement des poissons de plus de 3,8ans. Ces résultats nous amènent à l’hypothèse que les poissons effectuant des migrations en aller-retour ont tous au moins une expérience de la reproduction. On pourrait penser qu’ils aient acquis une certaine « expérience » et « connaissance » du milieu leur permettant de retourner sur les zones les plus favorables à chacun de leurs besoins. La différence de sexe dans la composition de ces deux groupes nous amène à penser que les femelles sont plus territoriales que les mâles ou que ces derniers sont davantage sujets à de la mortalité lors de la baisse des niveaux d’eau.

La Seine, ici en crue hivernale, offre de nombreuses zones de frayère propice au brochet. Encore faut-il que la continuité écologique du cours d’eau soit maintenue.
Crédit photo : Union des fédérations du Bassin de Seine-Normandie

Est-ce que les zones de refuge hivernales sont également des secteurs de fraie ?

C. P.: Il est difficile de répondre avec les résultats de notre étude. La précision de nos détections ne nous permet pas d’étudier la position des poissons en fonction de la nature des habitats. Il est vrai que la période hivernale et la reproduction du brochet sont temporellement proches. De ce fait, certains secteurs occupés en fin d’hiver peuvent être des zones de reproduction. Étant donné que dans des conditions idéales, la reproduction a lieu dans le lit majeur, les zones de reproduction peuvent être également des zones de refuges. Mais l’inverse n’est pas forcément vrai, une zone de refuge en cas de forts débits, ne possède pas forcément les caractéristiques d’une zone de fraie.

À quel moment les brochets se déplacent-ils à nouveau ? En fin d’hiver ou début de printemps ?

C. P.: Comme on a pu le voir, il n’est pas possible de généraliser le comportement des brochets à une migration aller-retour encadrant la période de reproduction. Cela semble plus complexe, la disponibilité des zones de fraie et « l’expérience » ou le « caractère explorateur » des brochets semblent jouer un rôle. Sur les 42 brochets suivis, seulement 10 ont réalisé une migration en aller-retour. Pour autant, tous les brochets ont eu les mêmes conditions environnementales lors de l’étude. Il est difficile d’associer une saison au mouvement de retour, d’autant plus que la période de reproduction est à cheval sur la fin de l’hiver et le début du printemps. Les études montrent que les brochets se reproduisent dans des eaux comprises entre 6 et 12°C, c’est l’atteinte de cette fourchette qui conditionne la ponte. Nous avons pu constater que les mouvements de retour sont majoritairement initiés lors de la baisse du débit et de l’augmentation des températures.

Les brochets de plus de quatre ans ont acquis une connaissance du milieu qui leur permet de réaliser des trajets aller et retour jusqu’aux secteurs de frayères. La préservation de ces gros poissons est essentielle !
Crédit photo : Lyonel Chocat

À l’ouverture de la pêche, est-il judicieux pour les pêcheurs de se concentrer sur les secteurs de fraie ? Les brochets y sont-ils encore ?

C.  P. : L’ouverture de la pêche tient compte du cycle biologique du brochet afin de le protéger pendant sa période de reproduction. Toutefois, comme on l’a vu précédemment, tout n’est pas écrit sur un calendrier. L’arrivée de certains stimuli peut être tardive ou précoce suivant l’année ou la géographie. La présence d’un brochet adulte sur une zone de reproduction est peut-être synonyme qu’il ne s’est pas encore reproduit. Même si ce n’est pas le cas, au moment de l’ouverture, les frayères et les annexes hydrauliques abritent les juvéniles. Je conseille donc de ne pas pêcher ces zones avant la mi-mai, pour laisser les derniers brochets frayer et les brochetons se développer. Les pêcheurs ont la chance de pouvoir pêcher ce poisson classé vulnérable, pour la pérennité de cette espèce, la responsabilité de chacun est importante. Préserver les brochets, c’est assurer une pêche durable et authentique tout en maintenant des rivières en bon état et résilientes face au changement climatique. À méditer !

 

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