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Dans la peau d’une perche, dyschromies et couleurs étranges

 

Quelquefois au cours d’une vie de pêcheur de carnassiers, on rencontre un poisson rare avec des couleurs aberrantes. Perches fluo, brochets turquoise, silures mandarin… d’où viennent-ils ? Enquête au pays des bizarreries chromatiques.

Sur la peau des poissons, les couleurs s’affichent comme celles d’un écran avec des pixels. Des cellules pigmentées, les chromatophores, jouent le rôle de pixels. Il y en a de plusieurs types : des rouges (érythrophores), des noires (mélanophores), des jaunes (xanthophores)… Les pigments bleus et verts sont trop complexes à produire et ces deux couleurs sont généralement assurées par un autre type de chromatophores, les iridophores, constitués de lames transparentes qui produisent des couleurs par interférences optiques. Le blanc, qui n’est pas vraiment une couleur mais un mélange de toutes les longueurs d’onde colorées, est aussi produit par des cellules transparentes, les leucophores. Pour changer de couleur, les poissons n’ont qu’à faire varier la taille de leurs chromatophores, réduisant ceux dont ils veulent masquer la teinte et dilatant ceux dont ils souhaitent accentuer la couleur. De véritables caméléons !

Changements de couleur

Le changement de couleur des poissons est sous contrôle hormonal. Il dépend donc de leur humeur. On connaît tous le sandre « charbonnier » qui se pare de mélanine à l’approche du frai. Mais dans certaines conditions, nos carnassiers peuvent changer de couleur encore plus violemment. En particulier la perche, qui peut devenir en quelques heures totalement blanche ! Souvent, ce changement de couleur est lié au camouflage et dépend de la turbidité de l’eau. C’est donc la luminosité perçue par les yeux du poisson qui le gouverne. Dans une zone sombre, le poisson devient sombre ; dans une eau turbide, il devient clair… Par conséquent, un poisson aveugle est incapable de gérer ses changements de couleur. Comme ses yeux ne perçoivent pas de lumière, et que tout se passe donc comme s’il était dans le noir, il va généralement adopter une robe très sombre.

Les dyschromies ne touchent pas toujours l’animal entier, mais peuvent se localiser sur certaines zones de son corps, comme sur cette splendide perche prise par Nils Meuther.
Crédit photo : Nils Meuther

Anomalies

Certains individus ont des problèmes au niveau de leurs chromatophores et ne peuvent pas arborer toutes les couleurs propres à leur espèce. C’est là que l’on peut par ler de couleurs anormales, ou dyschromies. Les causes de ces anomalies sont multiples, généralement génétiques mais pas toujours, et elles peuvent concerner tout le corps de l’animal ou seulement une partie. La plus connue est l’albinisme. C’est une absence totale de pigmentation. On la confond souvent avec le leucistisme, où les pigments sont produits en trop faible quantité donc extrêmement dilués ou localisés. Dans les deux cas, l’animal est blanc. Mais il est facile de distinguer un poisson leucistique d’un albinos, car l’albinos est dépourvu de pigmentation au niveau de ses yeux (ce qui leur donne un aspect rouge) tandis que le leucistique présente des yeux normalement colorés. L’albinisme étant génétique, il est parfois lié à l’exposition à certains polluants. Une étude menée aux États-Unis sur les poissons-chats a démontré qu’il y avait plus d’albinos dans les populations exposées aux métaux lourds. D’autres dyschromies concernent seulement certains types de chromatophores. Par exemple le xanthisme : l’animal apparaît jaune à cause d’une absence des érythrophores (cellules rouges), qui fait ressortir les xanthophores (cellules jaunes). C’est le cas notamment des perches et silures « mandarin », mais aussi des formes dorées du carassin ou de l’ide mélanote, que l’on élève pour favoriser les gènes xanthiques. À l’inverse, on trouve parfois des brochets vert émeraude, tirant sur le bleu. Il s’agit alors d’axanthisme : l’absence de couleur jaune fait ressortir des teintes bleues. Le mélanisme, surabondance de pigments noirs, arrive chez le black-bass à la suite de blessures de la peau, mais uniquement au niveau de ces blessures. Les poissons totalement mélaniques, entièrement noirs comme les panthères noires, sont très rares, mais cela a été documenté chez le brochet.

Les poissons dyschromiques sont une source d’émerveillement sans fin pour le pêcheur, comme cette belle perche xanthique.
Crédit photo : Matt Fishing

Ségrégation chez les silures

Dans la nature, les animaux dyschromiques sont rares, car une couleur anormale est un désavantage pour la survie. Les dyschromiques se font plus facilement repérer et, pour les albinos, leur peau est plus fragile face aux UV du soleil. C’est pour cela qu’il est plus fréquent de rencontrer des carnassiers dyschromiques que des poissons fourrage, qui se seraient fait manger avant. Mais même pour les grands prédateurs, la vie n’est pas facile quand on n’a pas les bonnes couleurs. Une étude en aquarium a montré que les silures avaient tendance à exclure de leurs groupes les individus albinos. Ils les maintiennent à distance et ne chassent pas avec eux. Ce comportement s’explique par le fait qu’un tel individu très visible risque de faire repérer tout le groupe de plus loin. Mieux vaut donc s’en éloigner. Chez les mammifères, les albinos ont des problèmes d’audition, à cause du manque de mélanine dans l’oreille interne. Les études réalisées sur les poissons n’en ont pas montré. Les carnassiers albinos entendent aussi bien que les autres, et pour cause : leur système auditif est bien différent de celui des mammifères et ne dépend pas de la mélanine.

Les brochets « émeraude », à la bouche parfois très bleue, présentent un axanthisme : c’est l’absence de couleur jaune qui fait ressortir le bleu
Crédit photo : Bill François

Tous différents

Les poissons dyschromiques attirent l’attention du pêcheur, car on les reconnaît facilement. Sur certains spots, ils sont connus, et certains sont capturés plusieurs fois par saison. Un silure albinos surnommé Rackham a longtemps fait rêver tous les pêcheurs du Rhône camarguais. Mais, anomalies ou pas, tous les poissons ont des robes uniques. Les rayures d’une perche, les taches d’une truite, d’un « glane » ou d’un brochet sont des caractéristiques individuelles aussi fiables que nos empreintes digitales. On peut donc les utiliser pour reconnaître individuellement nos prises. L’équipe du professeur Philipp Hirsch a étudié et suivi des perches au cours de leur vie, et démontré que le nombre et la forme des rayures étaient suffisants pour reconnaître les individus aussi efficacement que si on les marquait. Cette approche est intéressante et je ne saurais trop conseiller à tous les pêcheurs de tenter de reconnaître leurs poissons d’après les photos.

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Biologie – Environnement

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