Si la température a tant d’effet sur les poissons, c’est parce qu’ils ont le sang froid. Mettons-nous un instant à leur place. Nous autres humains avons le sang chaud : un thermostat interne maintient notre corps à 37°C quelle que soit la température extérieure. Les poissons n’ont pas cette chance. Leur température est toujours identique à celle de l’eau. S’ils ont besoin d’avoir plus chaud ou plus froid, la seule solution qui s’offre à eux est de se déplacer et de chercher la bonne température ! Cette quête dicte leurs mouvements. Par exemple, lorsqu’ils sont malades, les poissons vont rechercher des zones d’eau très chaudes, afin d’y élever leur température corporelle, de la même façon que notre corps chauffe lorsqu’on a de la fièvre, la chaleur aidant à combattre les maladies. Lorsqu’ils ont besoin de chaleur pour se reproduire ou digérer, ou, au contraire, de se mettre au frais, les poissons vont aussi bouger, et il faudra suivre leurs mouvements.
De vrais thermomètres
Qu’on ne s’y méprenne pas : être à la même température que l’eau n’empêche pas les poissons de mesurer la température. Bien au contraire : ils peuvent détecter des écarts thermiques infimes de l’ordre de 0,001 °C ! On ne sait pas vraiment comment ils font, mais on comprend bien à quel point ce sens est vital pour eux. En effet, toutes les réactions chimiques de leur organisme (signaux nerveux, digestion, croissance, maturation des œufs) sont très sensibles à la température. Dès que l’eau chauffe ou refroidit, c’est donc tout leur corps qui sera impacté. Et cela se joue à très peu. Par exemple, quand l’eau passe de 20 à 23 degrés, la croissance journalière du black-bass devient deux fois plus rapide. Le brochet, lui, digère une proie en 48 heures l’été… et en 12 jours l’hiver !
Gare à la fraie
En général, on se renseigne surtout sur la température de l’eau pour savoir si la période de frai a commencé. Il est vrai que les organes reproducteurs des poissons, puis leurs œufs, ne peuvent se développer qu’à une certaine gamme de températures. Mais d’autres facteurs sont tout aussi importants : la photopériode (durée du jour), l’hydrologie (crues et débits), la météo, l’environnement (pousse de la végétation) et l’évolution de la température (si elle augmente ou baisse). La valeur instantanée de la température nous permet juste de savoir si la fraie est possible ou non. La fraie des poissons blancs nous intéresse aussi, car elle occasionne de gros regroupements de carnassiers. Le gardon commence à se reproduire vers 14°C, l’ablette à 15, la brème entre 12 et 20. Le temps d’incubation des œufs dépend, lui, de la chaleur totale accumulée : plus il a fait chaud, plus ils vont vite éclore. On mesure donc ce temps en degrés-jours : la somme des températures connues chaque jour par les œufs, ce qui correspond à l’énergie qui les a fait se développer. Fait intéressant : la fraie du brochet est « programmée » par l’évolution de sorte que les brochetons arriveront au stade piscivore juste au moment de l’éclosion des alevins de gardon, leurs proies favorites !
L’optimum thermique
La plupart des réactions chimiques sont d’autant plus rapides que la température est forte, et celles qui gouvernent l’activité des poissons n’échappent pas à la règle. S’il fait trop froid (par exemple 10°C pour la perche, le black-bass ou le sandre), le poisson ralentit et cesse toute croissance. Qu’il fasse plus chaud et il grandira et s’alimentera d’autant plus vite. Toutefois, il existe un seuil où la température sera trop élevée pour son métabolisme ; il entrera alors en stress thermique. L’animal arrêtera de s’alimenter et se déplacera de plus en plus vite dans l’espoir de trouver de l’eau froide. S’il n’en trouve pas, il cessera tout mouvement. Lorsqu’il dure peu, le stress thermique est vite oublié quand les températures baissent à nouveau. Mais s’il se prolonge, il peut être fatal. Les scientifiques ont donc mesuré, pour chaque espèce, la gamme de température d’activité optimale, ainsi que la température létale. Le poisson peut aussi mourir de froid : une température trop basse peut ralentir son organisme au point de le tuer. Il y a donc aussi une température létale inférieure. Nous avons résumé ces températures dans le tableau suivant.
Savoir quand c’est cuit
Les gammes d’activité optimale du tableau sont à prendre avec précaution. En effet, elles sont mesurées en laboratoire, dans une eau propre et bien oxygénée. Dans la nature, c’est différent : plus l’eau chauffe, moins l’oxygène y est soluble (c’est pour cela que l’on voit de petites bulles se former sur les bords d’une bouteille d’eau qui a chauffé). À ce phénomène s’ajoute la prolifération de bactéries gourmandes en oxygène… une eau chaude devient vite étouffante pour le poisson. À tel point que, bien souvent, même si la température est dans la gamme « optimale » d’une espèce, le taux d’oxygène, lui, est trop faible pour assurer de bonnes conditions de pêche. D’une part, le poisson va s’économiser et être moins actif, mais surtout, s’il est ferré, il va s’épuiser beaucoup plus vite jusqu’à compromettre sa remise à l’eau. C’est surtout vrai pour le brochet, l’espèce la plus sensible parmi nos carnassiers, en particulier les gros spécimens. Tout pêcheur qui souhaite relâcher ses prises doit cesser de traquer maître Esox lorsque l’eau devient trop chaude. Un organisme anglais a étudié la question et préconise la règle suivante : ne plus pêcher le brochet quand l’eau dépasse les 21°C, ou quand l’air dépasse les 21°C durant 48 heures d’affilée. Sur la base d’observations personnelles, je préconise même d’éviter de pêcher le brochet dès que l’eau dépasse les 19°C. On peut alors se reporter sur des poissons moins fragiles comme le sandre. Avec le réchauffement climatique, nos carnassiers sont de plus en plus impactés par la hausse des températures et la baisse de l’oxygénation de l’eau ; il est important de faire notre part pour les protéger au maximum lors des grandes chaleurs.