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Pêche sur le fleuve Zimbabwe, avec ses carnassiers inconnus

Avec ses 2750 km, le Zambèze est le quatrième plus long fleuve d’Afrique. Il est surtout connu du grand public pour abriter les spectaculaires chutes Victoria qui sont la plus grande cataracte du monde2. Côté pêche sportive, il jouit d’une réputation certaine pour ses poissons tigres et attire bon nombre de pêcheurs voyageurs, notamment des moucheurs sud-africains, venus pour de superbes dérives sur les eaux claires et chaudes des mois de septembre et octobre qui constituent la courte saison pour ce poisson. Mais mon objectif est tout autre et je suis volontairement venu en dehors de cette période, car c’est une liste d’espèces plus ou moins étranges et méconnues que j’ai fait parvenir à mes guides pour ce séjour.

Pour m’aider dans cette « mission », c’est encore mon pote Pierrot, fidèle compagnon des voyages hors des sentiers battus, qui m’accompagne. Je l’attends à l’aéroport international de Johannesburg. Lui arrive de France et moi en 4x4 depuis la province sud-africaine du Limpopo où je viens de terminer une semaine de chasse. Le vol Air France de Pierrot est à l’heure et nous permet de sauter immédiatement dans un petit jet monocouloir à destination de VFA, Victoria Falls Airport au Zimbabwe. Pas de complications douanières pour entrer dans ce pays, il suffit juste de s’acquitter d’une taxe de 30 US dollars pour obtenir un visa touristique. Plus long sera le trajet pour rejoindre notre spot de pêche, non pas à cause de la distance mais à cause des pistes totalement défoncées sur lesquelles notre taxi-brousse dépassera rarement la vitesse de 30 ou 40 km/h ; à ce rythme, les heures de route s’empilent rapidement… Enfin nous arrivons, en soirée, sur le petit camp de pêche qui nous reçoit. Il est superbement situé sur le cours moyen du Zambèze, à peu près à égale distance (une petite centaine de kilomètres) des chutes Victoria et du lac Kariba. Comme je m’y attendais, nous sommes hors saison pour le tigre et le camp est désert. Nous y serons seuls pour toute notre semaine de pêche. Wayne, le patron sud-africain du camp, est resté au pays pour guider des moucheurs. Il a délégué à Charity, une solide fille du Mozambique, le management du camp et notamment de la cuisine. Dès notre arrivée, elle nous présente Warren, 35 ans, un enfant du fleuve, né dans un petit village tout près d’ici. Il sera notre guide de pêche. Surplombant une grande boucle du Zambèze, le lodge est une toute petite structure au charme ancien un peu désuet. Les vieux trophées poussiéreux et cabossés de concours de pêche au poisson tigre qui trônent encore sur les étagères du bar témoignent de son passé plus glorieux qui remonte aux années 1980. L’accueil est simple et rustique mais chaleureux et presque familial, nous ne manquerons (quasiment) de rien… N’oublions pas que nous sommes au plus profond du Zimbabwe, un pays où tout est plus compliqué. Et puis, l’environnement est tellement magnifique qu’on peut pardonner beaucoup de choses…

Un fleuve naturel et sauvage !
Crédit photo : Fabrice Chassaing

Le vundu pour premier objectif

Le lendemain matin, cela fait déjà longtemps que Warren s’affaire au ponton, en bas de la petite colline où est niché le lodge, alors que Pierrot et moi traînons au petit-déjeuner. C’est la fin de l’hiver, les nuits sont encore très fraîches et le soleil matinal bien timide : inutile de démarrer trop tôt. Nous sommes venus les « mains dans les poches » sans aucun matériel de pêche. Même si nous avons parfois fait un peu de leurres, je savais qu’avec les objectifs définis, l’essentiel de nos pêches serait axé autour de stratégies aux appâts. J’avais donc demandé à l’organisation de nous fournir cannes et moulinets qui sont, de toute façon, moins déterminants avec ce type de technique. Six ensembles cannes-moulinets, de différentes puissances, seront ainsi mis à notre disposition. De la qualité moyenne mais en bon état et largement suffisant pour ce qu’on avait à faire. L’embarcation est une barque en résine d’environ 5 mètres, large et basse sur l’eau, mue par un vieux Mariner 45 CV. Elle nous paraît un peu frêle et exiguë au départ mais elle passe bien les rapides, mieux en tout cas que les barques alu en V dont dispose aussi le camp. Pierrot et moi y trouverons vite nos marques et nous serons contents de la retrouver chaque matin pour partir une journée sur le fleuve. Pique-nique (frugal) dans la glacière, nous voilà donc partis. Nous avons l’avantage d’être au cœur de l’action, sur un secteur de la rivière magnifique, préservé et sauvage, et nous n’aurons jamais à aller très loin pour trouver des spots de pêche variés et prometteurs (une trentaine de minutes de navigation au maximum pour les postes les plus éloignés). Le Zambèze est ici très large (plusieurs centaines de mètres) et animé d’un courant soutenu. Il alterne les grands lisses, les radiers, les fosses profondes avec remous, les reculées et bras d’eau plus calmes et les rapides très agités. Il a conservé un caractère naturel très marqué et nous croisons régulièrement des groupes d’hippopotames bruyants ou d’énormes crocodiles qui se réchauffent au soleil sur les plages de sable. En cette saison, l’eau est plutôt claire, d’un joli vert bouteille avec une visibilité d’un petit mètre, mais elle est encore plutôt froide. C’est superbe et ça donne vraiment envie de pêcher. Warren s’arrête sur un premier poste. Il cale notre bateau en berge pour faire face à un joli contre-courant profond de 3 à 5 mètres où l’eau s’assagit un peu. Warren ne parle pas beaucoup, mais on comprend vite qu’on va chercher à faire des appâts lorsqu’on le voit sortir des simples numéros 10 ou 12 d’un petit chiffon où règne une pagaille d’hameçons de toutes tailles, plus ou moins usagés. Puis, il extirpe de sous son siège une boîte en bois pleine de vers de terre semblables à nos « terreaux » mais plus gris-brun, extrêmement mobiles et nerveux dès qu’on les touche. Ainsi équipés, nous ne tardons pas à glisser dans notre filoche métallique quelques tétras, quelques petites breams colorées hérissées d’épines et, surtout, des juvéniles de nkupe, une espèce que j’ai couchée sur ma liste et qui atteint plusieurs kilogrammes mais qui, avant le stade adulte, présente six à sept rayures sombres verticales sur les flancs et constitue un excellent baitfish. Ainsi pourvus, nous entamons véritablement notre quête de carnassiers et nous ciblons en premier lieu le mythique vundu dont tout le monde s’accorde à dire qu’il est le plus gros poisson du fleuve Zambèze. C’est un grand poisson-chat, très large, très massif qui peut atteindre 60 kg. Une des clés d’identification est ses très longs barbillons qui se déploient jusqu’à la base de la nageoire pelvienne et qui lui valent son nom scientifique (Heterobranchus longifilis). C’est un très grand prédateur qui a la particularité, pour un poisson-chat, d’aimer se tenir dans les courants très forts, ce qui en fait un redoutable adversaire, très rapide et puissant, pour le pêcheur qui qui a la chance d’en tenir un au bout de sa ligne. La chance, car il constitue, d’une part, une espèce malheureusement en voie de raréfaction du fait notamment de l’excellente qualité de sa chair et d’un fort taux de prélèvement par les locaux. D’autre part, pour les pêcheurs sportifs, il n’est pas simple à pêcher justement du fait des secteurs très agités où il aime se tenir et surtout se nourrir.

Warren saura nous conduire jusqu’aux très gros vundus.
Crédit photo : Fabrice Chassaing

Pêche dans les grands courants

La stratégie de pêche est très classique : une présentation des appâts en plombée. Je sais, par mes nombreuses expériences dans le monde où il a fallu pêcher des grands courants puissants avec des esches naturelles, qu’il est rarement bon d’utiliser des montages lourds pour tenter de caler les lignes en travers. Il est souvent beaucoup plus efficient de plomber très légèrement le bas de ligne pour le laisser dériver naturellement dans les veines d’eau. Aussi suis-je rassuré de voir Warren équiper nos Nylon de toutes petites olives de 10 à 15 g qui paraissent bien ridicules pour les courants face auxquels nous sommes installés. Ainsi, nous préparons quatre lignes que nous lançons légèrement amont à quatre distances différentes et que nous laissons simplement dériver pour se caler « où elles veulent ». Elles sont appâtées de petits vifs ou de filets de nkupe. Après quelques heures et avoir changé plusieurs fois de poste, nous avons pris un modeste poisson de 4 kg, mais c’est bien un vundu qui nous rassure sur la présence de l’espèce et qui a déjà donné à Pierrot une idée de ce que peut être un grand vundu au bout d’une ligne. Un peu plus tard, alors que nous arrivons à proximité d’un village, après un échange de signes avec un homme sur la berge d’en face, Warren débarque quelques secondes pour récupérer un petit paquet laissé sous une pierre. C’est de la viande rouge et fraîche de vache, un appât excellent pour le vundu… Effectivement, sur le poste suivant, c’est sur la canne eschée avec cette chair rouge et tendre que je pique un superbe vundu de plus de 15 kg. Après une longue résistance appuyée par la force de la rivière, nous pouvons enfin admirer ce magnifique poisson-chat d’eau vive, son corps lisse et puissant à la coloration uniforme brun-olive légèrement rougeâtre, sa tête longue et large, sa grande nageoire adipeuse (presque aussi longue que sa dorsale rayonnée, ce qui caractérise le genre Heterobranchus), sa caudale ronde et large et ses barbillons surdimentionnés. Chaque jour de notre session, nous passerons au moins quelques heures sur les grands courants des postes à vundu. Nous y aurons toujours entre une et trois touches, ce qui est plutôt rassurant sur la densité de cette espèce qui trône tout en haut de l’échelle alimentaire. Notre plus grosse prise, à la tête massive et impressionnante, frisait les 30 kg. Capturé avec un moulinet garni de Nylon maxima 40/100 presque vidé pendant le combat, nous obligeant à suivre le poisson dans la rapide avec le bateau, il me vaudra la flatteuse réflexion de Warren, pourtant pas très bavard : « Tu as beaucoup d’expérience, beaucoup de pêcheurs auraient raté ce poisson ! »

Le vundu combat valeureusement dans les grands courants.
Crédit photo : Fabrice Chassaing

Très gros nkupe

Le nkupe (Distichodus mossambicus) fait partie des prédateurs dans la grande famille des Distichodontidae, une grande famille de poissons africains. Il est très typique de la région puisqu’on ne le trouve que dans trois pays : Zambie, Zimbabwe et Mozambique. Il ressemble à une grosse brème, en plus musclé, avec des mâchoires équipées de dents bicuspides aux saillies pointues et coupantes. C’est une espèce qui apprécie les vastes milieux comme le Zambèze moyen et inférieur ou le lac Kariba. Pour le rechercher spécifiquement, l’idéal est de trouver un courant profond sur lit de sables et de rochers. On peut utiliser des grappes de vers de terre mais, pour écarter les juvéniles, nous irons à pied récolter des poissons appâts vivant dans les ruisseaux d’eau vive qui s’écoulent dans les pentes des reliefs qui ourlent le fleuve. Ce sont des petits minnow de la famille des barbes (Barbus spp) de quelques centimètres, tendres et fragiles à souhait. Installés sous forme de grappes ou enfilés sur nos courbures d’hameçons de façon à tourner légèrement dans le courant, ils nous permettront de mettre au sec plusieurs spécimens de nkupe entre 3 et 4 kg, une fort belle dimension pour l’espèce.

Le cornish jack est un poisson bien étrange.
Crédit photo : Fabrice Chassaing

Étrange cornish jack

Le cornish jack (Mormyrops anguilloides) est un bien étrange poisson, aussi bien par son look que par son comportement. C’est le plus grand des Mormorydae, une famille comprenant plus de 200 espèces vivant dans les eaux douces de l’Afrique tropicale et du bassin du Nil. On pense que son nom provient de la vague ressemblance que lui ont trouvé avec le brochet (dit « jack » dans certaines parties de l’Angleterre) les premiers colons qui ont pu l’observer. Ce sont des poissons capables de produire de l’électricité générée par un organe présent à la base de la queue. Ils l’utilisent non pas pour tuer ou immobiliser leurs proies (le voltage est faible) mais pour les localiser et se situer dans leur environnement. Le cornish jack présente en effet des mœurs plutôt nocturnes et c’est principalement de nuit qu’il se nourrit ; ses yeux sont très petits et il est particulièrement à l’aise dans les eaux turbides. Contrairement au vundu, le cornish jack préfère se tenir à l’écart des grands courants, dans les eaux calmes et profondes. Avec les eaux claires du Zambèze pendant notre séjour, nous savions que l’accès aux mormoridés serait plus compliqué. Nous avons fort logiquement fait des tentatives de nuit, mais sans aucun succès. C’est finalement en pêchant les fosses les plus profondes de plus de 10 m ou des postes ombragés sous des berges creuses que nous réussirons, probablement grâce à la lumière amoindrie dans ces zones, à mettre au sec quelques spécimens de cornish jack et de eastern bottlenose (Mormyrus longirostris), un de ses cousins de plus petite taille. Le cornish jack, qui peut atteindre 1,50 m de long, est très recherché localement, mais c’est clairement plutôt en saison des pluies que cette espèce devient plus accessible, grâce au fleuve qui monte et devient tout marron. Ça n’est pas son ardeur au combat (très faible) qui attitre les pêcheurs locaux, mais la remarquable qualité de sa chair, fine, délicate et sans arêtes.

Catfish au corps lisse et gris ponctué de taches sombres.
Crédit photo : Fabrice Chassaing

Dangereux electric catfish

La dernière espèce couchée sur ma liste d’objectifs est également dotée d’organes électriques mais beaucoup plus puissants : elle peut produire des décharges comprises entre 300 et 400 V, ce qui la rend dangereuse pour l’homme. C’est la fameuse famille des poissons-chats électriques, celle des Malapteruridae qui comprend une quinzaine d’espèces dans les eaux douces d’Afrique centrale et sur le bassin du Nil. L’electric catfish présent sur le Zambèze est une espèce qui lui est strictement endémique (Malapterurus shirensis). De moindres dimensions que ses grands cousins de Centrafrique qui peuvent atteindre 20 kg, le Zambezi electric catfish n’en produit pas moins un foudroyant voltage et les locaux s’en méfient énormément3. Tout comme le cornish jack, le poisson électrique, avec ses petits yeux et ses trois paires de barbillons bien développés, adopte des mœurs plutôt nocturnes ; il est également à l’aise dans les eaux troubles ou avec peu de lumière. Nous le recherchons dans les calmes profonds peu éloignés du rivage. On opère toujours en plombée mais avec des appâts (vers et minnow) présentés au-dessus du plomb, sur une courte potence. Lorsqu’enfin nous embarquons la première prise pour découvrir ce poisson étrange au corps lisse et gris, ponctué de taches sombres, Warren le manipule avec énormément de précautions. Il nous explique que même plus d’une heure après sa mort, il peut encore envoyer de fortes décharges. Je prendrai énormément de temps pour observer, admirer et photographier dans les moindres détails une espèce de poisson si singulière… Pierrot et moi avons fait de nombreux séjours sur les rivières de l’Afrique australe, sur le Zambèze et la Kafue river en Zambie, sur le fleuve Orange en Afrique du Sud, sur le Zambèze et la rivière Deka au Zimbabwe ou l’Okavango au Botswana. La beauté sauvage des paysages traversés, la vision de la grande faune africaine inféodée à ces milieux et la grande diversité de poissons qui les occupent ont toujours enchanté les pêcheurs naturalistes que nous sommes. Nul doute que ce sera également votre cas !

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