Moment d’hésitation et de doute lorsqu’Arnaud me tend la fine canne à lancer ! J’ai cru, l’espace d’un instant, avoir mal compris ce que nous allions traquer sur le vaste barrage. Je me retrouve avec un fleuret de 2,29 m et d’une puissance de 5 à 25 g. Elle doit être parfaite pour la perche ou le sandre mais le guide m’avait promis de taquiner… le silure. « Ne t’inquiète pas, me lance-t-il sourire aux lèvres. Tu n’auras pas besoin de les brider, il y a 70 m d’eau en dessous d’eux. Avec cette canne, au moins, tu vas t’amuser pendant le combat ! » Et nous voilà partis pour une quête excitante au sondeur.
Que du fourrage !
Nous quittons la mise à l’eau peu praticable juste devant le château du Val et voguons vers le barrage, plus au sud. Le moteur avant à peine déployé, Arnaud a déjà l’œil sur l’écran de l’échosondeur. De grosses boules de fourrage envahissent la dalle digitale bleue. Le pêcheur, pourtant habitué des lieux – il habite à quelques kilomètres seulement du barrage –, n’en revient pas. Les boules d’alevins compactes de perches et de poissons blancs sont omniprésentes. « C’est une très bonne chose, car le lac est d’habitude plutôt pauvre en fourrage. Il y a de gros poissons, des gardons énormes et des brèmes de plusieurs kilogrammes qui font la joie des pêcheurs au feeder, mais la reproduction n’est pas bonne habituellement. Les bordures sont très minérales et le marnage du barrage débute très tôt, mettant à sec de nombreuses pontes de poissons. Au printemps, étant donné qu’il a plu longtemps, le niveau est resté haut et, du coup, la fraie s’est bien déroulée. C’est top, cela va profiter aux carnassiers ! »
Tache en surface
Nous naviguons depuis quelques instants seulement et Arnaud repère le premier silure, en surface ou presque. « L’été, les jeunes silures viennent se réchauffer dans les premiers mètres d’eau. Avant l’arrivée des technologies d’échosondeurs offrant une vue vers l’avant, on ne pouvait pas les pêcher ! Ils sont malins, dès qu’ils entendent le moteur électrique ils plongent à quelques mètres. L’eau est un peu acide et tourbée ici et, du coup, la visibilité n’est pas énorme, un mètre à peine. C’étaient des fantômes. C’est dommage d’avoir une ressource halieutique et de ne pas pouvoir en profiter. Désormais, avec les appareils dits « live », on peut les pêcher à vue. Il y a quelques années, j’avais observé des plaisanciers qui naviguaient très doucement, monsieur au moteur thermique, madame à l’avant avec une paire de lunettes polarisantes. Les silures ont moins peur des moteurs thermiques. Quand madame apercevait un poisson en surface, le mari prenait la canne et lançait dans la direction du poisson. Une sorte de “live humain” en fait ! Parfois, on voit même la queue du poisson sortir de l’eau, ils se tiennent souvent à la verticale. »
Premier contact
Pendant ce récit, Arnaud a placé le bateau à bonne distance, une quinzaine de mètres du poisson, et a saisi l’ensemble spinning. Le jet est précis : à l’écran, on voit nettement le leurre tomber dans l’eau et commencer sa plongée. La tête plombée n’étant pas lourde, Arnaud ramène doucement le leurre au-dessus du silure qui évolue 2 m sous la surface. Le point représentant le leurre sur l’écran passe au ras de la tache plus grande du poisson, qui se retourne, rattrape le leurre souple et l’engouffre. Cette dernière action, je ne l’ai pas vue au sondeur mais à la canne qui plie en deux sous le premier rush. Arnaud exulte : « Là, au moins, tu peux combattre le poisson ! » En effet, nous sommes au milieu du barrage, il y a 60 m d’eau en dessous de nous, pas d’herbier, pas de bois noyé ni de souche. Cinq minutes plus tard, le petit moustachu arrive rageusement en surface. Arnaud, solide gaillard, le saisi par la nuque pour la photo. La plupart des nombreuses autres prises seront décrochées directement dans l’eau. Sans être hypermaniaque, notre pêcheur n’aime pas salir son bateau. Le mucus, c’est collant ! La démonstration ayant été faite par le nouveau guide, il me tend l’ensemble et nous filons vers un autre poisson, quelques mètres seulement plus loin.
Un shad et c'est tout
Sans être vantard, nous avons dû « voir » à l’écran une centaine de petits silures dans la demi-journée de pêche, mesurant entre 80 cm et jusqu’à 1,60 m environ. C’est tout bonnement incroyable ! Il y a de quoi s’entraîner au lancer précis ainsi qu’aux réglages de la sonde et de l’appareil électronique. En ce qui concerne le leurre, Arnaud est formel : n’importe quel petit shad de 12 à 15 cm fait l’affaire. Le passionné rit aux éclats lorsque je lui dis que je m’attendais à une pêche technique avec des vibrations ou des leurres spécifiques. Il a fait beaucoup de tests : la couleur importe visiblement peu, de même que les vibrations, du moment qu’il y a un paddle et non une queue de type faucille, qui donne visiblement de moins bons résultats. Le point capital, c’est la qualité du lancer. Il faut passer à moins de 30 cm du silure et ne pas arrêter de mouliner. J’en ai fait les frais sur les premiers lancers. En observant le poisson se retourner à l‘écran, on a tendance à l’attendre et à se préparer à la touche. Fatale erreur ! Si le leurre plonge de quelques centimètres, le poisson fait demi-tour, c’est le refus. « La semaine dernière, j’ai donné un moulinet à un client le soir pour qu’il s’entraîne à l’apéro. Il n’avait pas un geste régulier et ne moulinait pas de façon continue. C’est un détail capital. Je le vois directement à l’écran. » Appliqué sur le geste, regardant l’eau et non plus l’échosondeur et me basant uniquement sur les indications d’Arnaud tel un joueur de cécifoot, le lancer suivant fut le bon. La touche violente faillit m’arracher la canne des mains. Cintré à mort, le fleuret encaissait les coups de tête du carnassier tandis que le frein du moulinet chantait à tue-tête. Quel régal.
Une grosse mandale
« On peut vraiment se faire plaisir sur de jeunes poissons si l’on utilise le matériel correspondant, assène Arnaud juste avant de mettre le poisson au sec. Je ne suis pas un acharné de la live et de la pêche à l’échosondeur, mais il faut avouer que cette technologie m’a redonné envie de venir pêcher sur le barrage de Bort les-Orgues en été. Sans ces silures et ces appareils, c’est un peu le désert halieutique à cette saison. De nombreux pêcheurs locaux, qui n’ont pas tous de grosses embarcations, se sont également équipés. C’est assez étonnant mais je pense vraiment que ça a redonné un coup de dynamisme localement à la pêche. » Excité, je ne veux plus lâcher la canne et scrute avidement l’écran bleu à la recherche du prochain écho en surface, tout en gardant un œil sur le superbe panorama qui nous entoure. N’en déplaise aux détracteurs de cette technique, on peut aisément faire les deux !
Le matériel d'Arnaud
Notre jeune guide est en formation au CFPPA de Brioude (43). Il propose de nombreuses prestations de pêche des carnassiers dans la région et à l’étranger. Son bateau, un Marcraft 465 avec hors-bord de 100 cv, est parfaitement équipé et stable. Lors de ce reportage j’ai utilisé l’équipement suivant :
- Canne : Spike S d’Abu Garcia
- Moulinet : Spike S 2 500 d’Abu Garcia
- Tresse : Berkley x9 en 0,12 mm
- Bas de ligne : 0,30 mm
- Leurre : Berkley sneak shad sur TP 15 g
Contacts : Landrieu.arnaud@hotmail.fr / Facebook / Insta
Interview : la Live, un outil comme un autre
Tu as récemment participé à une célèbre compétition filmée sur Youtube, où ta prestation n’est pas passée inaperçue !
Arnaud Landrieu : Oui, j’ai eu la chance de participer à cette émission où Tanguy Marlin s’était imposé l’an passé. Il avait fait une démonstration de pêche au chatterbait. Cette année, la configuration du lac était similaire et je me suis trouvé en face de ce pêcheur talentueux. Il fallait sortir des sentiers battus pour envisager passer la phase de poule ! Aucun pré-fishing cette fois, car nous avons tourné sur un lac qui a été préservé avant le FC Fight brochet. C’était donc une pêche à l’instinct, sans préparatif ! Néanmoins, il fallait aller vite et être efficace sur un format si court. Tous les compétiteurs étant équipés de sondes live, il y avait des chances qu’ils ciblent de gros poissons en pleine eau. C’est pourquoi ma stratégie était de déclencher un maximum de touches en bordure, puis espérer dénicher un poisson bonus au livescope !
Que penses-tu de cette polémique autour des sondes live ?
A. L. : Comme toute polémique, elle est grandement exagérée. C’est un outil formidable qui nous permet de mieux comprendre nos amis à écailles. Finalement, c’est une pêche à vue, comme on le ferait avec des lunettes polarisantes. Néanmoins, je ne pense pas que des pêcheurs regardent ce genre d’émission pour voir des concurrents rivés à leur écran.
Mais toi-même utilises ton live Garmin pendant la compétition ?
A. L. : Bien entendu ! C’est une compétition, j’use des moyens dont je dispose. Mais c’est aussi un spectacle et je pense qu’il faut faire la preuve qu’on peut s’en passer, que le live n’est qu’un outil parmi d’autres. Il y avait une pêche de bordure à faire, je n’ai pas hésité une seconde !
On te voit beaucoup pêcher à l’ondulante pendant l’épreuve, c’est presque l’arkhê contre la tekhnè cette histoire !
A. L. : Le plan d’eau étant très peu pêché, il était évident que les leurres métalliques allaient sortir du lot. Vu les gaillards en face, je savais que le combo chatter/spinner serait utilisé, donc quoi de mieux qu’une ondulante pour se démarquer ? C’est un leurre sous exploité, qui brasse beaucoup d’eau et papillonne à la descente. Et dans la gamme Abu Garcia, je suis gâté avec la version 2.0 de la classique Atom. Une cuillère large qui se lance bien et qui m’a permis de prendre la majorité des brochets de mon quota !
Nous avons aussi repéré un leurre souple pré-armé dans ton arsenal.
A. L. : Oui, lors du tournage, il s’agissait encore d’un prototype sur lequel on apportait des modifications pour plomber davantage une version shallow d’un leurre très connu aux États-Unis : le Cull Shad. Sa queue en nid d’abeille donne du volume au leurre tout en conservant une souplesse inégalée. J’étais certain qu’aucun brochet ne l’avait encore vu ! Il m’a offert le plus gros poisson du quota, il était complètement coffré. En même temps, j’ai profité du nid d’abeille pour y mettre de l’attractant Gulp !
Renseignements pratiques
Mise en service en 1952 après dix ans de travaux, la retenue de Bort-les-Orgues est l’une des plus grandes avec un barrage construit en béton. Elle se situe aux confins de trois départements, la Corrèze, le Cantal et le Puy-de-Dôme. Elle retient les eaux de la Dordogne sur une surface de 10,7 km2 et sur 21 km de longueur.
Adresses utiles
- Fédération de pêche de la Corrèze - Tél. 05 55 26 11 55 - www.peche19.fr
- AAPPMA Bort-les-Orgues - Président : Jean-Marie Foissin - Tél. 06 26 45 60 92
- Fédération de pêche du Cantal - Tél. 04 71 48 19 25 - www.cantal-peche.com
- Office de tourisme de Sumène Artense - 15270 Champs-sur-Tarentaine-Marchal - Vente et location de matériel de pêche - Tél. 04 71 78 76 33
Détaillants
- Val Nautique - 15270 Lanobre - Vente et location de bateau
- Concessionnaire Mercury - Tél. 04 71 40 30 06
Hébergement
- Hôtel-restaurant chez Delmas - 15270 Lanobre - Tél. 04 71 40 30 95
À voir, à faire
- Le château du Val qui devait être englouti à l’origine de la construction du barrage est bien sûr emblématique du lieu. Une base nautique et une plage jouxtent l’édifice.
- L’espace EDF, situé au pied du barrage à côté de l’usine hydroélectrique, est ouvert toute l’année. C’est un lieu pédagogique, ludique et interactif pour les visiteurs