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Pêche du sandre en France : une popularité en berne ?

Carnassier emblématique de nos eaux, il nous a semblé que le sandre souffrait ces dernières années d’une légère désaffection de la part de certains pêcheurs. Pour en avoir le cœur net, nous avons interrogé quatre des tout meilleurs spécialistes français du plus énigmatique de nos poissons d’eau douce : Sylvain Ledendre, Michel Tarragnat, Julien Himbert et Jacques Chavanne.

Nous avons choisi d’interroger quatre pêcheurs de générations différentes mais ayant en commun de se passionner pour la traque du sandre. Jacques Chavanne, ancienne grande plume de La Pêche et les poissons, âgé aujourd’hui de soixante-seize ans, a connu l’explosion de l’espèce dans les années 1970 et les grandes heures du mort-manié. Et on ne présente plus Sylvain Legendre, ancien compétiteur, pêcheur de très haut niveau, maîtrisant toutes les pêches des carnassiers en eau douce. Le plus jeune s’appelle Julien Himbert, l’un des rares à avoir fait de la pêche du sandre sa spécialité, le traquant toute l’année. Enfin, Michel Tarragnat, que nos lecteurs connaissent bien, est venu tout naturellement apporter sa pierre à l’édifice.

À votre avis, les quotas favorisant la pêche sportive et la mauvaise qualité des eaux peuvent-ils avoir découragé tous les pêcheurs qui consomment leurs prises ?

Sylvain Legendre : Je ne suis pas persuadé que la qualité des eaux se soit dégradée depuis les années 1970. Les pêcheurs ont eux évolué et sont plus respectueux. De plus en plus pratiquent le no-kill ou des prélèvements raisonnés et ne sont donc pas dérangés par ces mesures.
Michel Tarragnat : Les pêcheurs de sandre relâchaient déjà la majorité de leurs poissons capturés. L’interdiction de consommer peut sûrement décourager les pêcheurs consommateurs là où elle existe, mais il me semble que ça reste tout de même assez marginal.
Jacques Chavanne : La qualité des eaux peut inquiéter. Bien des déversements industriels resteront dans l’eau des centaines d’années, on ne peut plus rien y faire… Pourtant, ça n’arrête pas certains qui continuent de consommer, pensant à tort qu’une eau plus claire est une eau plus propre.
Julien Himbert : Dans mes lacs vendéens, très pollués, le sandre demeure pourtant l’espèce la plus consommée ! L’ancienne génération reste focalisée sur la pêche au vif, les plus jeunes préférant les leurres mais fuyant le sandre par peur de la difficulté. C’est pour moi une erreur car avec le bon leurre et la bonne présentation, on peut déclencher l’agressivité d’un percidé inactif. Et c’est beaucoup plus compliqué avec le brochet.

Sylvain Legendre sandre
Sylvain Legendre
Crédit photo : DR

Le sandre n’est pas réputé très combatif, à l’inverse d’autres espèces en expansion comme le silure et l’aspe, entre autres. Sa traque serait-elle moins sportive ?

SL : L’intérêt de la pêche du sandre, c’est sa touche et la réflexion qui mène à la déclencher. En outre, ce poisson se nourrit 24h sur 24 et, sur un matériel light, il est capable de livrer de vrais combats, contrairement à d’autres espèces, comme le brochet pêché avec un équipement bigbait, par exemple.
MT : Si j’aime pêcher le sandre, c’est pour sa touche et sa traque, hyper addictives. Il y a toujours eu des espèces plus combatives, tels le brochet ou le black-bass, sans que ça empêche le sandre de devenir populaire.
JC : La pêche du sandre n’est plus aussi productive, il est devenu plus difficile à capturer de manière régulière. Ce poisson se tient souvent sur des postes délicats d’accès du bord… C’est un peu plus simple en bateau.
JH : Les autres espèces de carnassiers sont sans doute mieux réparties dans la colonne d’eau et le pêcheur impatient va privilégier naturellement le power fishing. Le sandre, lui, impose la patience et une stratégie dédiée.

Michel Tarragnat sandre
Michel Tarragnat
Crédit photo : DR

La pêche du sandre nécessite-t-elle selon vous une maîtrise technique supérieure ?

SL : Oui car on le pêche surtout au leurre souple, ce qui implique de passer plus creux et de savoir imprimer la bonne animation. Durant les phases de descente, la concentration est primordiale pour ne pas louper la touche. Une bonne connaissance des milieux est essentielle pour savoir où il se tient.
MT : Pour moi, côté matériel et maîtrise technique, rien de plus que pour les autres espèces… même si les passionnés se plaisent à croire le contraire ! Pêcher le black-bass en wacky ou les brochets pélagiques est beaucoup plus technique. C’est surtout la connaissance de ses mœurs qui importe.
JC : Jadis, le matériel était secondaire car la population était massive. Le manié est moins prenant et il est essentiel de bien connaître les milieux pour déterminer les zones de tenue et les fenêtres d’activité, parfois très courtes.
JH : Le sandre est plus agressif que certaines espèces ! Seule la clarté de l’eau en été peut imposer un matériel fin. Mieux vaut une canne sensible pour tout ressentir au creux des structures. Si on connaît les postes et les bonnes périodes, on prendra toujours plus, même avec une technique grossière, qu’un super technicien qui ne connaît pas le milieu.

Julien Himbert sandre
Julien Himbert
Crédit photo : DR

Les pêcheurs semblent capturer surtout des petits sujets. Y a-t-il encore des gros ou nécessitent-ils des stratégies différentes ?

SL : Un plus de 80 cm est certes difficile à prendre mais il y en a, ça se voit lors des vidanges. Il faut des conditions spécifiques : coup d’eau, crue, etc. Leurs mœurs particulières exigent en effet des approches différentes, comme peut l’être la pêche pélagique avec de très gros leurres, par exemple.
MT : Un sandre d’un mètre, c’est comme un brochet de 1,20 m, c’est le poisson d’une vie, ça ne court pas les rues. S’il existait un moyen infaillible de cibler ces gros sujets, je serais preneur. Certains postes abrupts et accidentés sont plus souvent habités par de beaux sujets. Je pense également qu’un appât naturel, vivant ou mort, a plus de chance de rapporter un spécimen qu’un leurre.
JC : Sur les postes connus, les captures de petits sujets sont logiquement plus régulières. Les gros solitaires sont plus durs à localiser et moins agressifs car ils ne sont pas confrontés à la concurrence alimentaire. On va les croiser plus facilement au moment des crues.
JH : C’est une question de créneau et de conditions. Les gros bougent avec les crues, mais l’été, leur comportement pélagique les amène en pleine eau. La pêche, qui consiste à chercher longtemps puis à pêcher les échos suspendus, est complexe et peu la maîtrisent.

Jacques Chavanne sandre
Jacques Chavanne
Crédit photo : DR

Il est vrai que nombreux sont les pêcheurs qui ne pêchent le sandre qu’en hiver !

SL : En été, les poissons sont mobiles et chassent par faible luminosité ou la nuit. Les gros se tiennent entre deux eaux voire près de la surface mais sont inactifs en journée...
MT : Le sandre est en effet très actif l’été mais très sélectif aussi ! Avec des vifs, tout redevient plus simple. L’idée selon laquelle la pêche doit être lente est globalement fausse, sauf en hiver comme c’est le cas pour tous les carnassiers. Mais en France les deux techniques qui font autorité ont toujours été le mort-manié et la verticale. Donc, ceux qui pêchent plutôt de ces façons préfèrent évidemment l’hiver.
JC : Sur mes spots, en basse Seine, c’est très compliqué l’été. Les populations sont éclatées et la nourriture est abondante. Il faut vraiment pêcher fin pour faire la différence. On dit qu’il s’alimente de nuit ou par faible luminosité à cette période mais je n’ai jamais fait de pêche exceptionnelle dans ces conditions.
JH : Les pêcheurs de sandre ont à mon avis trop d’a priori sur ses mœurs et passent souvent à côté de la pêche l’été. Or, de nombreuses techniques fonctionnent, jerkbaits ou minnows animés rapidement entre deux eaux notamment. Encore faut-il trouver les poissons !

Le sandre pourrait-il être devenu plus difficile en raison de la pression de pêche, d’une éventuelle raréfaction ou de changements de comportement ?

SL : Mais non, c’est un bon chasseur dans la pénombre voilà tout, peut-être est-il devenu plus sensible à certains bruits parasites (sondeurs, bateaux, pêcheurs). La pêche professionnelle a un impact mais la reproduction fonctionne bien car l’espèce, bien moins exigeante que le brochet, est très féconde.
MT : Une forte pression de pêche a un impact négatif, même en cas de no-kill, car le sandre s’éduque vite. S’il est constamment dérangé pendant la journée, il se nourrit facilement la nuit. Mais qu’on en prenne moins n’est pas une preuve de raréfaction car sa capturabilité s’effondre s’il est trop sollicité. Le prélèvement de beaux sujets devrait laisser la place aux petits et donc dynamiser les populations. Enfin, le sandre est plus un perturbateur qu’un perturbé ! C’est une espèce invasive, résiliente et très capable de s’adapter.
JC : La dépollution de la Seine a fait diminuer la population de poisson fourrage, il y a donc logiquement moins de sandres et leur croissance est moins rapide. C’est un grand biotope avec des mouvements d’eau permanents et il y a plutôt moins de pêcheurs qu’avant, alors...
JH : Il y a vingt ans, la population était jeune et surdensitaire. Quelques gros ont pris la place de plein de petits. La pêche professionnelle déséquilibre mais laisse la place aux plus petits. Il y a malgré tout beaucoup plus de sandres que de brochets car la reproduction a un taux de réussite élevé. Il est même surdensitaire dans certains milieux.

Mais alors pourquoi de nombreux bons pêcheurs se tournent-ils de plus en plus régulièrement vers l’étranger ?

SL : En effet, j’y effectue moi-même 80 % de mes sorties. En Espagne, la population est surdensitaire, jeune, et ne subit aucune pression de pêche locale. Les milieux sont immenses, riches et la température de l’eau élevée permet une croissance rapide. Contre-exemple, les Pays-Bas subissent une forte pression de pêche mais les prélèvements y sont rares. Pêche de nuit autorisée, milieux immenses, peu d’endroits en France offrent tout ça !
MT : Biotopes énormes, pression de pêche diluée, en Espagne, la capturabilité est grande. On y prend généralement plus de sandres en une semaine, même mauvaise, qu’en une saison chez nous même si on peut aussi s’y casser les dents. La plupart des sandres n’ont jamais vu un leurre, les Espagnols ne les pêchent pas. Pour un Français, c’est un vrai eldorado.
JC : En Espagne, en effet, les eaux sont riches en poisson fourrage donc la croissance des sandres est rapide et la densité plus importante.
JH : En Espagne, et c’est la même chose au Portugal, les eaux sont nettement plus chaudes et il n’y a pas autant d’espèces concurrentes qu’en France. Nos spots semblent un peu ridicules comparés au terrain de jeu hollandais où le sandre est clairement majoritaire, tout en haut de la chaîne alimentaire.

Qu’est-ce qui vous passionne dans la pêche du sandre, quel avenir lui prédisez-vous ?

SL : Il y a toujours un réel intérêt de la part des pêcheurs, je n’ai pas vraiment de sentiment de perte de vitesse. On peut toujours prendre et parfois aussi se casser les dents, la réflexion qui mène à la touche est passionnante.
MT : Il pourrait être utile d’évaluer les populations. Avec une espèce aussi prolifique, il serait très facile de corriger un manque… mais une baisse de capturabilité serait une autre histoire ! Réguler la pression de pêche ou autoriser la pêche de nuit pourrait contrer les penchants nocturnes du sandre…
JC : Cette difficulté de prendre, avec le sandre, c’est justement ce qui fait pour moi tout l’intérêt de sa pêche ! Je préférerai toujours piquer un beau sandre sacrément méfiant que cinq ou six malheureux brochets bien trop faciles.
JH : La pêche du sandre, à mes yeux, c’est l’école de la réflexion : trouver l’endroit puis le bon leurre, sa taille, sa couleur, etc. Ce poisson force à réfléchir et cet apprentissage sert toujours pour lire l’eau et comprendre les autres espèces.

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Brochets, Sandres, Perches

Magazine n°909 - février 2021

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