Comment le silure détecte-t-il ses proies ? La question est au centre de nombreux débats parmi les pêcheurs. Et ces débats sont loin d’être clos, car très peu d’études scientifiques apportent des réponses. L’animal étant trop grand pour le laboratoire, les seules expériences le concernant ont été faites sur des juvéniles, de 30 cm ou moins. C’est comme si l’on évaluait les capacités de l’être humain uniquement à partir d’observations sur les nouveau-nés… Toutefois, la poignée d’études publiées nous donne déjà quelques pistes pour mieux comprendre notre moustachu. À cela s’ajoutent des analyses plus complètes menées sur d’autres espèces de siluriformes. L’ordre des poissons-chats, dont fait partie le silure, comprend quelque 4 000 espèces ; 8% des poissons présents sur la planète en font partie, donc ce qui est vrai pour une espèce n’est pas forcément généralisable. Certains siluriformes nagent à l’envers, ou produisent des décharges électriques… mais d’autres sont très proches de nos silures. Nous allons ici tenter une synthèse de tous ces indices, et de ce qu’on peut aujourd’hui affirmer concernant les sens du silure.
La vue
On nous répète souvent que le silure voit mal. Cette idée se retrouve même dans les publications scientifiques, mais jamais accompagnée de la moindre source ou d’un fondement expérimental. Elle provient uniquement d’observations personnelles non détaillées. Nul n’a, à ce jour, démontré que le silure a une mauvaise vue. D’ailleurs, lorsqu’on observe l’œil d’un silure, tout porte à croire le contraire. L’œil est mobile, son cristallin est clair et, surtout, il est pourvu, comme chez le sandre, d’un tapetum lucidum, ce miroir interne qui optimise la captation de lumière et permet au carnassier de chasser par faible luminosité. On remarque le tapetum lucidum la nuit lorsqu’un silure est exposé à un flash : ses rétines brillent ! En plus, des poissons-chats proches du silure ont une excellente vue bien documentée. Donc, méfiance : le glane pourrait bien n’être pas si bigleux qu’on le dit. En revanche, une chose est sûre : la vue ne lui est pas indispensable. Il peut très bien chasser sans. L’expérience a été menée sur des (bébés) silures à qui l’on présentait des guppys, dans l’obscurité la plus totale. Les prédateurs ont capturé leurs proies, en les suivant « à la trace ». Étaient-ils guidés par l’odeur ou par le sillage hydrodynamique des poissonnets ? Dans tous les cas, ils ne chassaient pas à vue, mais tout aussi efficacement.
Des goûts et des odeurs
Contrairement à la vue, les sens chimiques (odorat et goût) du silure lui sont indispensables. Ces sens ne se limitent pas à la bouche et aux narines. Un silure possède des milliers de papilles gustatives réparties sur tout son corps ; sa queue joue le rôle d’une langue géante qui goûte l’eau tout autour en permanence. Les barbillons également. La bouche du silure est aussi très sensible, avec des récepteurs spéciaux au fond de la gorge qui lui permettent de recracher une bouchée rapidement si son goût s’avère moins bon que prévu au moment d’avaler. Par exemple, si le carassin a un goût de métal ou de crème solaire… Le nez du glane n’est pas en reste : ses narines possèdent 150 replis, ce qui multiplie d’autant la surface sensible, et donc la probabilité qu’il détecte une odeur. À titre de comparaison, les narines de la truite arc-en-ciel n’ont que 18 replis et celles du black-bass de 8 à 13. Le silure sent donc plus de dix fois mieux.
Branché sur toute la ligne
L’autre sens primordial pour le silure est celui des mouvements d’eau. Sa ligne latérale, mais aussi le reste de son corps, est parsemée de nombreux neuromastes, des cellules ciliées semblables à celles de nos oreilles, qui lui permettent de détecter les tourbillons et courants qui l’entourent. Il peut ainsi saisir la « trace » d’un poisson plus d’une minute après son passage ! Et le suivre activement jusqu’à ce qu’il le capture. Mieux : le silure possède aussi une forme très évoluée de neuromastes : des ampoules de Lorenzini. Ces détecteurs mesurent le champ électrique. Bien connus chez les requins, ils semblent présents chez tous les poissons-chats, et un chercheur allemand en a démontré l’existence chez Silurus glanis en 1974. Depuis, ce sens a été peu étudié mais, en regardant l’usage qu’en font d’autres espèces de poissons-chats, on comprend que notre glane s’en sert sans doute pour repérer, à courte distance (quelques dizaines de centimètres), l’électricité émise par le système nerveux de ses proies. Faut-il en conclure qu’il serait sensible à certains objets électroniques ou courants d’oxydation liés aux métaux des leurres et hameçons ? La question reste ouverte. En tout cas, cela ne l’empêche pas de croquer des cuillers tournantes.
Symphonie de Weber
Les joueurs de clonck le savent bien : le silure possède une ouïe très fine. C’est grâce à l’appareil de Weber, un système d’osselets qui connectent son oreille interne (les otolithes situés dans le crâne) à sa vessie natatoire, qui fait office de caisse de résonance. L’animal est donc extrêmement sensible aux sons sur une large gamme de fréquence. Mais qui s’en doutait ? Du fait qu’il n’a pas d’écaille, le silure a également un sens du toucher très développé, sans doute important lors de ses interactions avec ses congénères. On observe souvent des individus « éduqués » tourner autour d’un appât… s’ils sentent alors la tresse, cela leur cloue le bec. À part ces quelques connaissances, on nage encore en eau trouble en ce qui concerne les sens du silure. Et il y a beaucoup à découvrir. Qui sait si d’autres sens inconnus à ce jour attendent encore d’être mis au jour… peut-être par les pêcheurs, qui sont, sans aucun doute, les personnes sur Terre qui observent et connaissent le mieux le silure.