Que l’on soit pêcheur novice, confirmé ou expert, la capture d’un silure glane de plus de deux mètres ou de plus de cent kilogrammes est toujours une apothéose. S’il y a un point commun à toutes les pêches, et ce quelle que soit l’espèce recherchée, c’est bien l’émotion intense que procure l’arrivée d’un gros, voire d’un très gros poisson. Une émotion si transcendante qu’écrivains ou cinéastes n’hésitent pas à l’ériger en clé de voûte de leur œuvre comme Hemigway et « le poisson si grand » de son Vieil homme et la mer, ou la capture intense de « la truite magique » de Paul Maclean (alias Brad Pitt) du film Et au milieu coule une rivière réalisé par Robert Redford.
Des mensurations folles
La traque du silure ne déroge pas à cet adage, exacerbé plus encore par le potentiel génétique de l’espèce faisant d’elle le plus grand et lourd poisson des eaux intérieures de l’Europe. Si pour certains pêcheurs, une majorité d’ailleurs, la rencontre d’un tel spécimen reste la cerise sur le gâteau, le bonus ajouté d’un moment de ressourcement, de détente ou de convivialité, pour d’autres, elle est le seul et unique objectif. Ces pêcheurs à l’état d’esprit spécifique parfois nommés « specimen hunter » ou « traqueur de spécimen » développent une mentalité d’approche pour faire de la capture d’un poisson trophée non pas un coup heureux du sort, le bonus, le détail supplémentaire qui sublime un moment, mais tout simplement le projet. Le seul et unique projet de leurs sorties, ou rien d’autre ne rentrera en ligne de compte que la capture de très gros poissons.
Un parti pris sans compromis
Lorsque je pratique seul ou avec mon équipier et ami Maxime Albert, pêcheur chevronné et aguerri comptant des milliers d’heures de pêche à son actif, la quête exclusive d’un gros poisson est le mode de pêche que nous pratiquons. C’est un parti pris radical sans compromis dans la sélection des lieux, des saisons, du choix du matériel et de techniques ainsi que dans la réalisation des montages. Un parti pris que nous retrouvons dans la préparation mentale de chaque session. Tout cela pour que la qualité des touches l’emporte sur la quantité et l’aspect ludo-pédagogique de la partie de pêche. Alors, pour capturer très régulièrement des poissons oscillant autour des 100 kg, voici mon mode d’emploi, issu de ma pratique particulière de traqueur de spécimen mais qui peut être empruntée par toutes et tous, le temps de mener à bien son projet de capturer un silure trophée.
Choisir son lieu de traque
Vous ne pourrez pas capturer un silure de plus de 100 kg dans une rivière où il n’y en a pas ! Une vérité évidente que Jacques II de Chabannes de La Palisse n’aurait probablement pas contredite. Toutes les rivières abritant des silures n’ont pas le biotope potentiel pour produire des poissons de plus de 100 kg. Pour bien choisir son parcours à poisson trophée, il est important de connaître les ingrédients qui permettent à un biotope de forger de tels géants.
Parcours à haut potentiel
Le premier ingrédient est la taille du biotope et l’abondance de sa biomasse. Les grands fleuves de France (Rhône, Loire, Garonne…), les secteurs les plus avals de leurs affluents (Maine, Vienne, Saône, Tarn…) et les cours d’eau se jetant dans la mer (l’Aude par exemple) sont des choix de tout premier plan. La présence régulière de poissons marins migrateurs (mulet, lamproie, anguilles…) dans ces fleuves et cours d’eau assure une nourriture riche et abondante agissant comme un adjuvant au développement de très gros silures. Le second ingrédient, ce sont les températures moyennes annuelles. Comme nous l’avons vu ensemble dans le numéro en début d'année 2024, des températures annuelles basses ralentissent le métabolisme des silures et in extenso leur croissance et leur développement. À l’inverse, des eaux chaudes favorisent le développement de poissons trophées. C’est d’ailleurs dans la moitié la plus au sud de la France que l’on relate le plus souvent la rencontre de tels colosses.
Adjuvant néfaste
Le troisième élément, c’est la mortalité que subit l’espèce par les pratiques de pêches locales, comme la pêche professionnelle/commerciale ou encore les pratiques systématiques de destruction par les pêcheurs de loisir à la ligne ou aux engins pensant devoir « réguler » ce « vilain poisson ». Un silure de plus de 100 kg dans les biotopes chauds du sud de la France est un individu qui a plus de 30 à 40 ans. Si l’espèce est ciblée par une forte pression de pêche de prélèvement ou de destruction, ils n’ont pas le temps de vieillir suffisamment pour atteindre les mensurations d’un poisson trophée. C’est un point à connaître et à éviter pour mettre toutes les chances de son côté.
Les bonnes saisons
Outre l’importance du biotope et du secteur de pêche, j’accorde une grande attention au choix de la saison. Pour ma part, je privilégie les saisons du printemps et de l’automne, outre épisode particulier, une crue ou une sortie d’eau chaude en hiver. Lors de ces deux saisons, les gros silures vont devoir s’alimenter en début de printemps, lorsque les températures d’eaux repassent entre 10 et 16°C, pour reprendre de la vigueur après l’hiver avec un métabolisme digestif qui retrouve une activité plus rapide, en corrélation avec le réchauffement des eaux et la préparation de la fraie qui se profile quelques mois plus tard. Puis en automne, lorsque les eaux retombent entre les 16°C et 10°C, pour accumuler un stock de graisse, réserve d’énergie, afin de se préparer aux rudesses de l’hiver. Ces saisons sont souvent délaissées par les pêcheurs non spécialistes qui se tournent plutôt vers la pêche de la truite au printemps et celle du sandre en automne. Les silures en général et les poissons trophées en particulier sont donc un peu moins harcelés qu’en été. Ces saisons sont donc propices pour croiser des géants, mais elles sont moins idylliques que la fin de printemps et l’été pour le pêcheur qui doit se préparer mentalement à passer de longues heures dans le froid, sous le vent et la pluie, tout ça pour parfois une à deux touches par jour.
Cap hors des frontières
Les eaux du sud de l’Europe respectent également tous les critères pour produire des silures trophées. Le Pô, en Italie, produit régulièrement des poissons hors norme avec notamment ces deux records colossaux de 282 cm pris par Stefan Seuss suivit de quelques jours plus tard par un titan de 285 cm par Alessandro Biancardi en 2023, au printemps bien entendu ! En Espagne, on ne présente plus l’Ebre et ses lacs célèbres pour sa pêche aux pellets, ses camps de pêche (entre autres OCP avec Yvan Vidal, dont la chaîne Seasons TV, était allé tourner les aventures en 2022, ou encore Claude Valette notre pionnier français en la matière) et ses silures records. Pour partir encore plus à l’aventure, les eaux portugaises du Tage et du Douro commencent à révéler de vrais gros silures.
Sélection du matériel
Pour ce faire, j’ai deux mots d’ordre sans compromis : la solidité du matériel et la simplicité des montages. Une chaîne ne sera jamais plus solide que son maillon le plus faible. Inutile donc de passer une tresse en 0,60 mm sur votre combo light ou d’équiper votre canne 60-120 g d’un moulinet doté de 16 kg de frein sous prétexte que pour une fois, vous visez un gros poisson. Le seul résultat sera tôt ou tard une casse dans votre chaîne de montage. Pour illustrer cet état d’esprit, je dirais que pour chaque élément de votre chaîne de montage, de la canne à l’hameçon, il est nécessaire d’opter pour une référence robuste, fiable et adaptée pour prendre sans surchauffe des poissons de 100 kg, quand bien même il serait trop puissant et pas assez plaisant sur des poissons de 40 kg.
Un mot d'ordre : discrétion
La discrétion est un paramètre d’action crucial dans notre quête de poisson trophée. Inutile de rappeler quelles sont les extraordinaires facultés d’adaptation, d’apprentissage voire de communication de cette espèce. Les individus que l’on vise ont atteint plus ou moins le demi-siècle. Autant dire que leur cerveau est riche d’expériences et de malice. Alors bien sûr, le silure trophée reste un prédateur sauvage, avec des périodes de frénésie alimentaire et des baisses de vigilance qui vont avec. Mais sur une année, ces moments sont très rares et ne miser que là-dessus dans la quête d’un poisson trophée revient à attendre que la cerise tombe sur le gâteau. Or, ce n’est pas l’état d’esprit de cet article. Je préfère pour ma part miser sur une discrétion optimale, sans toucher aux diamètres et aux résistances mécaniques des composants sélectionnés. C’est une des clés majeures pour la réussite de votre projet et à ce petit jeu, le pêcheur n’est jamais plus discret que lorsqu’il se tient loin de son montage.
Deux techniques à l'honneur
Pour cette raison, et bien qu’elle ne soit pas exclusive au succès, j’ai sélectionné pour cet article mes deux approches de prédilection lorsque mon but est de capturer un poisson trophée : la pêche au flotteur en dérive, et la pêche au cassant à la pierre perdue depuis la berge. Pour la pêche au flotteur, je sélectionne une canne relativement longue qui va me permettre d’avoir un grand bras de levier pour présenter si besoin mon appât, un poisson vivant et si possible l’espèce la plus présente dans le biotope sélectionné, jusqu’à 50 mètres de mon embarcation. Pour un ferrage efficace à de telles distances, le blank doit allier une bonne raideur à ce grand bras de levier avec une action de pointe ou semi parabolique très rapide. Oui le combat fera mal au dos, et non, ce n’est pas ce qu’il y a de plus sympa lorsque l’on combat à l’aplomb du bateau… Je le conçois, mais l’objectif n’est pas là !
Flotteur en dérive
Globalement, je détourne une canne prévue pour la pêche à la bouée et je m’en sers pour pêcher au flotteur en dérive (Canne Black Passion G2 Bank de Black Cat : 3 m et 600 g de puissance ; Canne Solid Bank de Black Cat : 2,90 m et 500 g de puissance ; Canne Shades of Cat de UniCat : 3 m et 520 g de puissance). Je fixe un moulinet très robuste en taille 8000 bien garni. Avec une distance de pêche maximale aux alentours des 50 m, inutile de porter plus lourd à bout de bras toute la journée (Slammer de Penn IV 8500/ Saragosa de Shimano SW 8000).
Moulinet débrayable
Pour le montage pierre perdue, je prends les mêmes ou presque et je recommence. Du bord, je vais partir sur une canne de 3 m et plus offrant des puissances de 300 à 500 g (Wild Cat’s Beast de Black Cat : 3,05 m et 300 g de puissance, Pro Cat Soft de Zeck Fishing : 3 m et 350 g de puissance). Un moulinet robuste de taille 8000 à 10000 convient parfaitement. Pour ma part, j’ai développé une préférence d’utilisation et de plaisir de pêche pour un moulinet débrayable me permettant de profiter de super départs, tout en souplesse pour le poisson, allié à une reprise instantanée de mon frein de combat en un mouvement rapide de manivelle avant ferrage (Spinfisher VII Live Liner 8500 de Penn). Le ferrage appuyé, quelle que soit la technique de pêche, va vous mettre en contact avec le poisson. Ca y est, vous le tenez votre poisson record !
Montage flotteur spécial trophée
Mon montage est des plus simples avec une petite particularité me permettant de changer rapidement et souvent, à chaque grosse capture ou presque, mon bas de ligne. Sur un corps de ligne en tresse de 0,45 mm, je passe en premier lieu mon stop-float puis ma perle d’arrêt avant d’engager mon flotteur inline d’une puissance adaptée à la masse de mes appâts et de mon plomb. Sous ce dernier, je place une perle de caoutchouc pour protéger mon nœud de raccord. Je noue par un nœud de Grinner un émerillon agrafe sans compromis (Emerillon Agrafe Godzilla Swivel 4/0 Black Cat). Pas d’inquiétude, cet accessoire sera bien loin de votre esche. Dans cette agrafe, je place une tête de ligne de 1,5 à 2 m en hard mono de 1,20 mm que je double sleeve (sleeve Alu 1,2 mm) avec un « Loop Thimble » pour un contact sécurisé de ma tête de ligne avec mon agrafe. Après avoir passé dans mon bas de ligne deux stop-float XXL, un plomb inline du grammage adapté à mon flotteur, et un segment de 3 cm de gaine caoutchouc qui viendra protéger mon nœud, je fixe un petit anneau soudé de très grande résistance (100 kg minimum). C’est à partir de cette connexion que je peux changer mon bas de ligne sans devoir pour autant remplacer ou couper ma tête de ligne. Pour le bas de ligne, de 25 à 50 cm, je réalise un montage tandem simple/triple avec du kevlar de très grosse résistance (100 à 150 kg). Pour l’armement, aucun compromis ! J’utilise des hameçons très forts de fer et très piquants (Kaptain 6X VMC, Raptor Z8 BKK, CF-66 Catfish OWNER).
Montage coulissant pierre perdue spécial trophée
Sur un corps de ligne en tresse 0,40 mm, j’enfile un coulisseau de grande taille que j’emprunte à l’univers de la pêche en mer suivi d’une perle de caoutchouc qui protège mon nœud reliant le corps de ligne à un émerillon rolling à anneaux soudés de résistance 100 kg. En dessous, je confectionne un grand bas de ligne en hard mono d’un diamètre de 1,20 mm ou en tresse kevlar de résistance 80 kg en fonction des conditions d’eau, d’encombrement, et des appâts. J’apprécie tout particulièrement l’armement en mode tandem de simples qui me permet de présenter un appât sans métal sur le corps. Couplé à la mécanique coulissante de l’ensemble de ma ligne, c’est un montage extrêmement souple et discret sans n’avoir fait aucun compromis sur les résistances. Le top à mon sens pour cibler de vrais trophées sur des postes précis.
Gestion de projet
J’ai coutume de dire que le succès de la quête d’un poisson trophée, c’est 25% dans le matériel, 25% de technique et tactique, et 50% de cerveau. J’entends par là qu’outre les choix de secteurs et de saisons, il existe selon moi quelques lois incontournables à appliquer pour garantir le succès de votre quête sans qu’elle ne se transforme en galère ou en déception. Cinq règles de bon sens empruntées au domaine du management de projet, puisque la quête du poisson trophée en est un ici !
La loi de Parkinson : pour éviter les frustrations, il est important de se fixer des délais réalistes. Vous ne pouvez pas attendre un succès à coup sûr en appliquant les quelques conseils de cet article une seule journée. Une quinzaine de jours répartis en deux ou trois sessions (voir loi de Carlson en n°3) me paraît beaucoup plus réaliste pour espérer avec crédit réussir cette quête.
La loi de Pareto appliquée au succès : 80% du succès provient de 20% des efforts et des actions que vous mettez en œuvre. Il est donc important de se concentrer sur l’essentiel (le lieu, la période, le temps de pêche, le bon état d’un matériel adéquat) plutôt que de se prendre la tête sur des détails qui, au final n’auraient que peu d’importance.
La loi de Carlson : limitez les interruptions. À moins d’habiter aux portes de la mise à l’eau d’un hot spot à gros glanes, une session de plusieurs jours d’affilé vous prendra moins de temps et d’énergie que si vous réalisez le même nombre de jours de pêche répartis au coup par coup dans le temps. Votre efficacité sur ou au bord de l’eau n’en sera que décuplée.
La loi de Murphy : acceptez d’ores et déjà « l’imprévu » et gardez du temps pour le gérer. Ce concept mental, entre résilience et capacité d’adaptation, est d’accepter l’idée que des imprévus surviendront au cours de la session, et ce aussi parfaite que puisse-t-être votre préparation. Ces imprévus, souvent jugés affectivement désagréables par le pêcheur, pourraient avoir la faculté de saper votre moral et de vous décourager du projet. Si ça doit tourner mal, alors ça tournera mal. Dans ce cas, l’impatience, la précipitation, l’agacement, l’énervement ou la colère auront plus tendance à exacerber le problème et ses conséquences plutôt qu’à le prendre en compte et le résoudre. Le specimen hunter doit savoir s’adapter à tout, et accepter qu’une session ne se passe rarement tout comme prévu de A à Z.
La loi de Douglas : rangez votre environnement de pêche ! Plus on a de la place sur son poste ou son bateau et plus on étale son matériel et ses équipements jusqu’à perdre en efficacité et accroître les dangers pour le pêcheur, le matériel, et le poisson en cas de capture.