N'ayant pas la réponse à toutes nos interrogations, nous avons donc choisi dans cette aventure du « cheminement vers l’évasion », l’humilité et le respect. Pour tout arpenteur de berges, les périodes creuses et sans victoire qui permettent d’apprécier les heures de gloire – bien que moins nombreuses – sont tout autant chargées de belles émotions. Est-ce la rareté de ces instants qui leur donne toute leur puissance ? Si tel est le cas, c’est bien mieux ainsi, et pourvu que ça dure. Partant de là, nous avons souhaité exprimer, au travers le plaisir de l’écriture, le perfectionnement de la photographie et la découverte de la vidéo, ce qui trottait dans nos têtes : en d’autres termes, le récit de notre modeste expérience.
Évasion
Pour cocher toutes les cases d’une évasion totale, il nous fallait un décor atypique, qui nous fait nous sentir vivant: de la vase, de la boue et de la roche… Pour ce faire, le socle granitique de nos terrains de jeu habituels depuis maintenant 4 ans nous a formidablement bien accueillis. L’évasion, mêlant l’inconnu, la découverte, l’apprentissage puis l’expérience résonne en nous comme au premier jour. Ce fameux premier jour où nous posions les pieds dans ces lieux aussi mystérieux que splendides, sans même savoir ce qui pouvait y nager. Après tout, il est vrai que cet inconnu, toujours présent et nous l’espérons pour longtemps perd de sa saveur en étant dévoilé sur les réseaux, lien facile – mais plébiscité – entre nous, car nous y partageons notre passion commune. Libre à chacun de livrer ce qu’il souhaite offrir aux autres même si cela contribue à lever le voile et à réduire la part de mystère. Nous ne nous y attardons pas et préférons nous faire notre idée. La météo, la nourriture naturelle, le déplacement des poissons sont autant de variables qui peuvent fausser une vérité valable le lundi, réduite le mardi, inexistante le mercredi. Il faut sans cesse se remettre en question dans ces pentes où règnent paisiblement hêtres et chênes, perturbés seulement par l’écureuil ou la hulotte. Le décor étant posé, le spectacle pouvait alors commencer. C’est de là que nous est venue l’idée de ce projet qui nous a conduits à poser des mots sur ce que nous vivions, nous a fait replonger dans des instants vécus à travers une pointe de stylo, nous a de suite emportés sans même savoir où nous allions : Déconnexion était née.
À l'arrivée de l'automne
Aidé de mon cher Mattias, partageant ainsi nos points de vue, j’exposais ce qui bouillonnait en moi lors d’un combat, d’une séance photo, mais aussi d’un coucher de soleil, d’une brume au petit matin, de l’arrivée de l’automne avec son odeur si particulière, des sons de cloches des pâturages alentour, tranchant le silence des montagnes, non loin de là où je trempais mes lignes. Pour moi, il y a aussi le fragment d’insolite qui n’imprimera en nous son souvenir que par l’œil, ces instants qu’on juge plus nécessaires de contempler plutôt que d’essayer de les capturer à travers un objectif. J’entends par là que, face l’émerveillement provoqué par de tels évènements, il est bon de ne le garder qu’en son for intérieur. Je n’ai parfois aucune envie de m’assister d’un quelconque appareil face à la beauté de la nature. Je préfère, au risque que l’on me prenne pour fou, garder ces photographies-là gravées sur ma rétine. Et, après tout, ai-je besoin de les raconter ? Un secret bien gardé conserve toute sa pureté. Partant de ce constat, j’ai emmagasiné beaucoup de détails pour les décrire au mieux et j’ai préféré faire vivre mes souvenirs. Les clichés photos venant étayer mes propos.
Immersion
Il me semblait important, enrichi de ma modeste expérience de l’amour des berges, de transcrire sur papier cette envie inlassable de « faire vivre l’image ». Je voulais marquer par ma perception ces instants que l’on ne ramène qu’à travers les souvenirs. Une image vaut mille mots en effet, mais elle prend une autre dimension lorsqu’on l’a fait vivre par le récit. La subjectivité rend d’autant plus forte l’immersion au cœur d’un texte. Pour Mattias comme pour moi, poser par écrit ces histoires nous permet d’exprimer notre passion, exutoire d’un quotidien parfois compliqué duquel on s’évade par la pensée enfantine – et si simple – de partir loin d’une foule normée qui nous interpelle et parfois nous effraie. Faire vivre l’image, c’est aussi le plaisir de se souvenir, après coup, d’un moment parfois – presque – irréel qui ne vit que par ce que l’on a pu en garder. Alors, l’écriture ne donnera aux lecteurs qu’un fragment de ce qui fut et ne peut être retranscrit dans toutes ces dimensions. Cependant, le texte a pour vocation de tendre vers une immersion la plus fidèle possible à la réalité sans pour autant l’égaler, car dénuée des sens fondamentaux que sont l‘odorat, l’ouïe, le toucher. Sans compter tous les sens cachés que sont l’émotion ou encore le sentiment. Lire un texte, fermer les yeux et s’y plonger comme si nous en étions le premier acteur est sans nul doute une utopie. Mais, le simple fait de permettre au lecteur de s’identifier est un début d’accomplissement. L’acteur est l’unique messager et est irremplaçable.
Objectif commun
De par le partage de la pratique à deux, nous avons rebattu les cartes de nos pensées individuelles, enrichissant chacun nos idées premières. Nous nous questionnons dans un objectif commun, celui du plaisir et de la passion, sans compter ni l’investissement ni l’ampleur du travail fourni, parfois énergivore et vain, car les résultats ne sont pas toujours à la hauteur de nos attentes. De cette longue attente, on prend alors peu à peu conscience de la valeur de chaque poisson qui rentre dans l’épuisette. La valeur que nous – pêcheurs de carpes modernes – accordons à chacune de nos prises est corrélée à la hauteur de l’engagement tactique et à l’attente qui y est associé. En effet, chaque carpe a sa spécificité, et je trouve qu’il serait dommage de ne pas en apprécier la valeur. En somme, la capture d’un individu résulte en grande partie d’un investissement préalable qui se résume par de grands principes mais aussi par des petits détails.
De plus en plus light
L’observation est un principe fondateur. Se rendre au bord de l’eau, comprendre, dénicher, chercher, parfois trouver, parfois se tromper de route, tel est la destinée. La traque, ce n’est pas cheminer sur une ligne droite sans y trouver de bifurcations. La traque, c’est plutôt ramasser sur son parcours les éléments qui permettront de choisir la bonne route à la prochaine intersection. L’envie de voyager léger nous est rapidement venue et l’apprentissage dans ce domaine ne fait que croître, en emmenant uniquement ce qui nous est nécessaire, au détriment quelquefois d’un peu de confort – et tout cela sans pour autant se mettre en danger. Un sac à dos, un duvet, un hamac, deux petites rétractables, un tapis… Voilà une bonne base. Viennent s’ajouter à cela des équipements que nous sélectionnons au fil des expériences, lorsque l’on se rend compte qu’un oubli peut coûter cher ou qu’un élément facultatif alourdi notre chargement. Cette pratique hors des sentiers nous donne entière satisfaction du point de vue l’évasion évoquée plus haut, et c’est pourquoi il nous est possible de profiter pleinement de chaque instant au bord de l’eau, de chaque seconde que l’on voudrait étirer. Emporté loin du bruit du quotidien, le retour à une vie plus codée devient parfois difficile. Est-ce la raison pour laquelle l’appel de l’eau resurgit sans cesse ?