Lignes rouges
On pourrait ainsi débattre pendant des heures entre raison et passion, mettre un peu plus de l’un dans l’autre, de l’eau dans son vin en fonction du degré d’éveil de sa propre conscience et surtout de l’acceptation de ses propres contradictions. A chacun au final, en son âme et conscience, de définir ses propres lignes rouges. C’est le sujet de cette réflexion, en tout cas un éclairage possible de nos propres contradictions, pour d’une part en prendre conscience afin de limiter nos impacts (ou pas), et pour comprendre d’autre part ce qui nous anime (dont tout un tas d’injonctions qui remontent souvent à l’enfance) sans juger ni faire la morale aux autres.
Evolution
Au fil du temps, que ce soit à l’échelle de l’humanité ou à celle bien plus petite de notre vie de pêcheur, la place de la pêche s’est doucement éloignée d’un concept initialement simple, nourricier, pour aller vers un halieutisme un peu plus « pur », spirituel, vers son propre épanouissement personnel, une raison d’être : je pêche donc je suis. De la nécessité de prendre pour manger, le curseur a donc glissé vers celui d’avoir des touches pour le plaisir de voir le bouchon couler, de prendre pour relâcher, quand pour d’autres il s’agit d’être dans l’instant présent sans pression du résultat, d’être à la pêche pour y être tout simplement. Bon, tout le monde n’en est pas là.
Chacun sa route
Sur Arte, je tombe en zappant en ce samedi matin de garde, qui sera d’ailleurs le seul moment de répit du week-end et de la semaine à venir, sur la rediffusion du (géo) reportage de 2018 « Arapaïma, le poisson géant d’Amazonie ». Je l’avais déjà vu, mais je ne m’en lasse pas. L’arapaïma est un poisson magnifique qui, comme d’autres poissons et pêcheurs, me fait rêver. Sa robe aux marbrures rouge vif pourrait inspirer les plus grands couturiers ; son corps aux mensurations généreuses qu’espèrent enlacer les pêcheurs les font rêver de sirènes qu’ils se tatouent sur les bras… Quel pêcheur ne rêverait pas d’en attraper un ? C’est ce que font les pêcheurs brésiliens dès que la saison commence, en octobre. Ils remontent l’Amazone, puis encerclent à l’aide de longs filets les pirarucus qu’ils harponnent dès qu’un d’eux remonte à la surface pour respirer, et qu’ils achèvent à coup de gourdin jusqu’à atteindre leur quota. Pour les jeunes autochtones l’avenir se résume à pêcher et à tuer pour survivre. Fin du rêve pour le pêcheur « sportif » occidental que je suis…
Chacun son chemin
Notre pseudo puritanisme ne doit pas pour autant nous entrainer dans la spirale de la bien-pensance, du rejet de l’autre, de cet impur qui ne fait pas comme nous. On peut vouloir en débattre ou pas (comme dirait Audiard qui ne parle pas aux cons pour ne pas les instruire), on a évidemment le droit de ne pas être d’accord mais on a aussi le devoir de respecter la liberté de penser de l’autre, de le laisser faire et s’exprimer puisque ce sont ses droits les plus fondamentaux. Si j’écris « vers » un halieutisme un peu plus pur, c’est que je crois qu’on n’y est pas encore (en tout cas pas moi) tout simplement parce qu’on ne peut pas être « ici et maintenant » en remplaçant ce besoin alimentaire vital, cru, sanglant et charnel, par un autre plus spirituel, celui de l’effusion du moi et de sa soif d’image. C’est pour cela que je parlais de ce rapport aux autres qui nous renvoie in fine à nous même. C’est comme ça... Si l’on ne ramenait pas tout à soi lorsqu’on regarde l’autre et si accessoirement on faisait moins la promotion de sa propre image et un peu plus celle du luxe du plaisir (de l’épicure ou de l’hédonisme) pour avoir une vie de bonheur, il serait plus facile d’y goûter.
Parle à ma main
« Sois parfait, dépêche-toi, fais des efforts, fais plaisir, sois fort… » sont autant d’injonctions qui, inconsciemment ou pas, nous pourrissent la vie. Il faudrait être parfait, conforme aux dogmes, au risque de déplaire sinon. Mais déplaire à qui ? A autrui, aux bienpensants, à ces ayatollahs que nous devenons aussi en passant le plus clair de notre temps à chercher à traquer l’imperfection chez l’autre ; le gars qui a tué un brochet (une carpe pour la manger à Noël je n’en parle même pas !) ou posé un poisson sur l’herbe, sans tapis, celui qui pêche avec un ardillon, dans le privé, hors secteur etc. au point de ne plus s’autoriser soi-même le moindre écart, la moindre liberté pour atteindre cette impossible perfection et au final à ne pas être tout simplement humain.
Se dépêcher !
C’est plus que jamais d’actualité. La société productiviste nous pousse à remplir chaque instant de travail et chaque moment autorisé à un peu de répit d’immédiateté, à scroller le fil de l’eau des réseaux. Ça, ça passe, mais quelle ignominie que de perdre son temps à suivre du regard une plume dans une longue coulée ou d’apprécier le silence des agneaux. Entre fascination des uns et répulsion des autres, autorisez-vous à emplir votre vie comme vous le voulez, seule l’issue est connue d’avance… Ainsi parlerait Papaourstra.
Faire des efforts
Être besogneux dans toute chose, travailler encore et encore pour être parfait, peiner, transpirer pour prendre des poissons, mais attention, uniquement des poissons qui se méritent… L’halieutisme et ses truites (ou carpes) de bassines, versus la gestion patrimoniale et les grands espaces ? Choisir c’est renoncer. Pourquoi s’en priver ? Que la facilité est douce à vivre pour celui qui ne la dévalorise pas et qui cueille le jour… Ainsi parlerait Papaourstra. Souvenez-vous, à l’occasion, de l’éloge de l’oisiveté de Sénèque, activité contemplative et médiative pour (re) trouver le bonheur, contrepied nécessaire aux affaires trop sérieuses qui dilapident notre temps, vident la vie d’un côté pour y accumuler de l’autre les trimestres de cotisation, comme dans un sablier... Ou encore l’oisiveté de Stevenson et de son école buissonnière. Autorisez-vous le droit de ne rien faire, ou de faire ce que vous voulez. Les cimetières ne sont-ils pas plein d’indispensables ? Ainsi parlerait Papaourstra.
Fais plaisir !
A qui ? Car en essayant de faire plaisir aux autres on fait au final tout pour être aimé, soi. A quel prix ? Au prix d’une vie entière de labeur ou d’influenceur ? Ne fait-on jamais assez d’effort pour les autres ? Autant être marchand de jouet (ou de livre) et qu’ils s’achètent ou pas l’objet de leur plaisir. Et encore, marchand au prix de quel effort ? On en viendrait presque à vouloir les offrir ces jouets pour faire le bonheur des autres et au final courir à sa propre faillite. Autorisons-nous donc à nous faire plaisir, à faire ce qu’on aime, à pêcher pour remettre à l’eau ou à écrire sans chercher à être lu, pour soi tout simplement, à être soi et à s’accepter dans le reflet de ses propres yeux et pas dans ceux des autres. Ainsi parlerait Papaourstra.
Sois fort !
On nous demande de ravaler nos états d’âme ou de ne pas les montrer, ce qui revient du pareil au même. Pourquoi ne pas s’écouter ? La parole des autres vaut-elle plus que la sienne ? C’est vrai que c’est plus facile d’aller à la pêche quand on a envie, ou de ne pas y aller quand on n’en a pas envie, que de faire de même au boulot. Devoir, servir… Loin de moins l’idée d’aller sur le terrain de l’aliénation de l’homme par le travail, juste de s’autoriser à exprimer ses sentiments. « Je n’ai pas envie » … Comment ça va ? « Comme un lundi ». Ainsi parlerait Papaourstra.
Imbécile
C’est peut-être à cause de toutes ces injonctions dont le pêcheur s’affranchi bien volontiers reconnaissons-le, qu’il a souvent été l’objet de railleries de la part de ceux qui n’osent pas. Comme Karr et Poitevin après lui, Massas (l’inventeur des cannes rubanées) en parle dans sa première édition du manuel du pêcheur (1852) : « Une épigramme plus mordante que méritée a été dès longtemps lancée contre les pêcheurs à la ligne. On a dit : la ligne est un instrument à deux bouts ; d'un côté un hameçon, de l'autre un imbécile. » Peut-être, mais un imbécile heureux dirait Papaourstra.
Bouffonnerie
J’ai longtemps cherché, en vain je le concède, l’origine de cette épigramme. J’ai à un moment cru qu’on la devait à Jacques Offenbach qui dans son opérette « Les Deux Pêcheurs ou le Lever du soleil », fait dire à peu près la même chose à Gros-Minet (un des deux personnages de cette bouffonnerie musicale) « Qu’on dise encore qu’une ligne est un instrument qui a une bête à chaque bout… non, mais qu’on le dise… voyons ! » Avant lui, on retrouve une tirade très ressemblante dans « L’homme du monde » De Monsieur Ancelot (Jacques Arsène Polycarpe François Ancelot) joué en octobre 1827 au théâtre Royal de l’Odéon.
Je crois en fait que depuis la nuit des temps on accorde beaucoup trop d’importance à ce que disent les autres... Et comme aujourd’hui toutes les paroles paraissent se valoir, je ne cherche plus. Je laisse parler et j’écoute de plus en plus mes propres envies.