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La pêche du bar à vue et à la mouche avec Franck Ripault

Franck Ripault a près de trente années d’expérience de pêche du bar à vue. Trop modeste pour endosser le titre de précurseur, son talent parle pour lui, au bord de l’eau comme à l’étau. Trait d’union entre la pêche en mer et en rivière, la traque du bar en estuaire est une démarche aussi exigeante que passionnante.

Comment se caractérisent les estuaires que tu pratiques dans le Nord-Finistère ?
Franck Ripault : Je ne pratique pas que dans le Nord-Finistère. Tous les petits estuaires sont intéressants, de Morlaix à la ria d’Étel. La Bretagne a cette particularité d’offrir un large choix de fleuves côtiers dont l’aval est un secteur potentiellement intéressant. Ces estuaires sont pour la plupart d’entre eux d’anciennes vallées glaciaires longues de quelques kilomètres, que la mer a conquises, voici plusieurs milliers d’années, faisant de cette côte une interface unique entre l’océan et la terre. Au rythme des marées, l’eau salée vient noyer ces vallées marines, appelées rias ou abers, contribuant à la richesse du biotope et de sa chaîne alimentaire.

Un gros dos noir capturé avec une Petite élégante
Crédit photo : David Gauduchon

Quelles sont les espèces que tu y a rencontrées ?
 Beaucoup d’espèces marines fréquentent cet habitat, des espèces qui supportent durablement une faible teneur en sel le temps d’une marée basse : bars et mulets en sont les espèces phares mais on peut aussi rencontrer, à l’occasion quelques dorades grises, et des poissons plats… Malheureusement, comme dans beaucoup de secteurs, ces espèces sont en nette régression du fait d’une pression énorme de la pêche professionnelle au large de ces estuaires.

Qu'est ce qui te passionne avant tout dans ces pêches d'estuaires ? 
Pêcher dans ces estuaires, c’est se glisser dans l’intimité d’un milieu encore sauvage, à l’abri des vents dominants et des effets de houle venant du large. Chaque estuaire est un territoire à part avec sa propre dynamique, ses courants, ses bancs de sable, ses lagunes, sa flore et sa faune qui sont un émerveillement permanent. Le spectacle n’est pas forcément sous la surface ! Dans la plupart des cas, la configuration de la rive (bordure recouverte d’algues à flotteurs) se prête très bien à une pêche itinérante passionnante qui n’est pas sans rappeler celle des salmonidés où la discrétion de l’approche est essentielle. De plus l’observation renseigne beaucoup sur le comportement des bars, poissons souvent craintifs qui ne se laissent pas approcher aussi facilement.

Observation, discrétion et connaissance du milieu sont les clés de la réussite.
Crédit photo : David Gauduchon

Comment les abordes-tu ?
Une bordure d’estuaire doit toujours être abordée avec une très grande discrétion. La ligne latérale de bar lui permet de déceler la plus infime vibration venant de la rive et sa vue est très sensible devant tout changement dans son environnement immédiat. Un bar en poste que vous découvrez vous a très certainement déjà repéré depuis longtemps si vous n’avez pas pris certaines précautions : ne pas faire craquer le sédiment sur lequel vous marchez, éviter de fouetter inutilement avec le risque de plaquer la soie sur le poisson lui-même, veiller à ne pas détacher sa silhouette sur un ciel trop lumineux, etc. La pêche à vue se fait dans les trois dernières heures qui précèdent l’étal de marée basse. Le poisson est en mouvement et profite de la baisse du niveau de l’eau pour, soit happer des crevettes réfugiées dans des cuvettes éphémères, soit cueillir des crabes furetant sur le fond sablo-vaseux. Le poisson se déplaçant, il faut donc anticiper sa vitesse de progression en plaçant la mouche bien en avance dans un espace libre d’obstacle. L’animation de la mouche devra se faire dans la demie seconde qui annonce l’arrivée du poisson sur le poste. La suite est affaire de chance !

Quels sont les coéfficients, la saison qui ont ta préférence ?
J’apprécie les coefficients de 75/80 qui obligent les poissons à se déplacer. Un coefficient trop élevé, la marée risque d’apporter des algues et des sédiments en suspension. Trop bas, les poissons resteront calés sous les algues, bien dissimulés à la vue du pêcheur. La saison ? J’aime les mois de mai et de juin : les poissons sont encore peu méfiants, certes encore peu nombreux mais plus gros. En septembre octobre, c’est le retour au calme avec la présence de poissons de toutes tailles. Cependant les premiers coups de vents risquent d’apporter une eau trouble, néfaste au repérage des poissons.

Franck conseille des coefficients de 75/80 qui obligent les poissons à se déplacer
Crédit photo : David Gauduchon

Peux-tu nous présenter la chaîne alimentaire qui est la base de tes réflexions et de tes recherches ?
Les eaux saumâtres facilitent le développement d’une riche chaîne alimentaire dont le bar est l’ultime maillon. Cela démarre par la présence de mysis, de minuscules crevettes quasi planctoniques, dont le bar et le mulet lippu sont très friands, puis viennent les crevettes attirées par la laitance libérée par les huîtres présentes dans les parcs dédiés à leur élevage, ensuite les crabes verts dont les colonies sont très denses, pour finir par quelques petits poissons de roches qui sont le plus souvent visés par les très gros bars à la fin de l’automne. Les mysis, crevettes et crabes ont été de vrais sujets d’observation puis de réflexions dans l’élaboration de mes mouches.

Précurseur, tu t'es spécialisé dans la pêche du bar à vue en 2005. Comment se sont passés tes débuts et ta progression ?
Précurseur, j’en doute. Depuis des décennies, des pêcheurs s’amusent à leurrer les bars dans les eaux saumâtres des estuaires avec parfois la surprise de découvrir un poisson passer sous la canne. Pour ma part cela a commencé au début des années 1990 sur les bords de l’Odet dans le Finistère sud. Avec de petits Rapala, je débusquais mes premiers bars sur les bordures et comprenais très vite que ces poissons que l’on croyait vivre uniquement dans les brisants pouvaient fréquenter assidûment les parties hautes des estuaires au beau milieu de bancs de salmonidés. Parallèlement, je commençais à m’équiper en mouche pour tromper les truites de mer à l’aide d’imitation de civelles que je promenais en lisière des algues. Un jour j’ai ferré un premier bar, à l’aveugle, et la passerelle a été vite empruntée. C’est avec des streamers classiques que j’ai commencé à écumer les bordures à l’affût des signes de présence de poisson. J’ai attendu les années 2003-2004 pour m’intéresser sérieusement aux imitations de crustacés dont je voyais les bars faire bombance. À force de cogitations, j’ai mis au point, en 2004, une imitation de crabe vert baptisée « Petit enragé » destinée à cette pêche de bordure dans de très faibles profondeurs. Puis dernièrement une imitation de crevette, la Petite élégante très efficace également au printemps.

Un beau spécimen capturé en estuaire
Crédit photo : David Gauduchon

Tu as formé beaucoup de pêcheurs à cette approche, peut-on parler d'une "école de la pêche du bar à vue" aujourd'hui ?
Je ne sais pas si on peut véritablement parler d’école. La pêche à vue est une autre approche de la pêche du bar, certes plus difficile si on la pratique à la mouche mais reconnue comme l’une des plus belles manières de prendre ce magnifique poisson. L’éthique y est bien sûr très présente, on se doit de relâcher le poisson après la photo, en le manipulant avec précaution. De l’avis de tous les pêcheurs, à la mouche comme aux leurres, le fait d’observer le bar avant de tenter de le prendre participe grandement au respect que l’on doit à ce poisson. La pêche à vue est une belle école d’humilité car le poisson gagne souvent à ce jeu de cache-cache et d’adresse qui entraîne le pêcheur sur de longues heures de marche et de prospection.

Peux-tu nous parler de tes observations et analyses, fruits de ta désormais longue expérience ?
Quand cette approche très sportive de la pêche à vue s’est fait connaître à travers la presse écrite et les réseaux sociaux, de nombreux pêcheurs ont voulu tenter l’aventure et je dois avouer qu’il y avait foule sur certaines bordures dès que les beaux jours revenaient. En outre, certains pêcheurs n’avaient aucun scrupule à tuer des poissons. Le résultat n’a pas tardé : les gros spécimens ont quasiment disparu, et les autres sont devenus terriblement farouches au point de ne plus fréquenter les bordures les moins denses en algues. Parallèlement les pêcheurs qui étaient persuadés de réaliser des pêches faciles ont vite compris que repérer le poisson est loin d’être simple. Cette pression exercée sur cette population de bars était d’autant plus dommageable qu’elle se faisait sur des poissons le plus souvent sédentaires dont la disparition n’était pas compensée par l’arrivée d’autres sujets.

Franck Ripault, précurseur de la pêche du bar à vue à la mouche
Crédit photo : David Gauduchon

Peux-tu nous présenter les proies et leur saisonnalité auxquelles le bar s'intéresse ?
Le bar s’intéresse avant tout aux crustacés, crabes verts et crevettes. Parfois il peut jeter son dévolu sur de petits poissons mais cela ne semble pas systématique. En avril, alors que les eaux sont encore froides, le bar happe les gobies et autres petits poissons de roche comme les juvéniles de labre. Avec les premières chaleurs de juin, les crabes verts entament leur mue, libérant des phéromones qui poussent le bar à chercher sous la moindre pierre un crustacé embusqué. Parallèlement, notre poisson lance des razzias sur les nuées de mysis et de crevettes ce qui déclenche des chasses, des claquements de nageoires et des mouvements d’eau en surface.

Qyel matériel utilises-tu ?
J’utilise des cannes de 9 pieds, action rapide, puissance située entre 6 et 8 selon la configuration des postes. Soie flottante transparente, bas de ligne en queue-de-rat se terminant par un anneau de raccord. Pointe fluorocarbone de 1,50 m en 22, 24 ou 26/100 selon les obstacles rencontrés et la clarté de l’eau.

Quels sont les plus gros bars que tu as réussi à leurrer avec cette technique ?
Mon plus beau spécimen dépassait les 90 cm, un formidable « dos noir » que j’ai pris au « Petit enragé » qui semblait bien minuscule au fond de sa gueule. Je n’ai pu qu’estimer sa longueur en fonction de celle de ma poignée de canne car je devais le relâcher au plus vite aux vues des rushs qu’il m’avait offerts sur de longues minutes. Sinon, la moyenne des prises oscille entre le 1,5 et les 3 kg en fonction des estuaires.

Quels sont les champs de découverte qui s'offrent encore à toi, les challenges qui te motivent ? 
Le mulet est actuellement une belle source d’inspiration dans l’élaboration de mouches. C’est un poisson qui sélectionne beaucoup sa nourriture et, selon les espèces rencontrées, la technique de la mouche offre de belles opportunités en termes de prises. Actuellement je travaille sur des imitations de néréide, un ver marin qui a la particularité d’être un bon nageur et donc de constituer une proie non négligeable pour un grand nombre d’espèces. Autre challenge : la prise d’une grosse daurade royale, très certainement le plus combatif des poissons que nos eaux froides de l’Atlantique abritent ! Pour ce poisson, tout reste à inventer en matière de mouches. Par ailleurs je pêche de plus en plus sur les plages ayant constaté que les bars, encore plus difficiles à repérer, fréquentent assez régulièrement certaines d’entre elles.

La boîte de Franck

 

"Je me suis très vite orienté vers des modèles très réalistes tout d'abord par goût personnel, puis parce qu'en raison de la forte pression de pêche, les bars sont plutôt très regardants sur les mouches proposées : une mouche qui présente une silhouette puis une attitude en conformité avec ce que le bar voit dans son environnement, permet de mettre toutes ses chances de son côté. Quand j'ai conçu le Petit enragé, je voulais un positionnement du crabe sur le fond légèrement redressé, dans une attitude de défense qui est typique de ce crustacé. Concernant la Petite élégante, c'est la transparence de la résine associée à la mobilité des antennes qui font bouger le poisson de fort loin. J'ai aussi mis au point une puce de mer flottante que j'utilise en mer ouverte quand les vagues viennent disloquer les algues qui pourrissent sur la grève; de même qu'un modèle de Ligie, une sorte de gros cloporte qui vit en milieu salin et dont les bars raffolent quand les conditions s'y prêtent. Mais là nous ne sommes plus en estuaire mais en mer ouverte, une approche encore plus sportive que je pratique à l'automne."

 

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