Sa robe varie suivant son âge et sa taille, mais est toujours exceptionnelle. Son corps est recouvert de lignes qui rappellent vraiment les tatouages ancestraux des peuples maori et polynésien, d’où son nom anglophone de « Maori Wrasse ». Mais le plus incroyable est qu’il s’agit d’un super prédateur qui prend très bien la mouche lorsqu’il est présent. Le napoléon est en fait une espèce de labre, ces petits poissons que l’on voit parfois autour des rochers ou nettoyer de plus grosses espèces. C’est le plus grand des labres, et de très loin, car il peut atteindre 2 m de longueur pour 200 kg !
Une espèce en danger !
Ce géant des récifs est, en revanche, en danger et le WWF pense que plus de la moitié de la population de napoléons a disparu de la zone indopacifique ces trente dernières années… Il a été beaucoup chassé dans certains endroits et, dans d’autres, comme en Asie du Sud-Est, il est capturé sous forme juvénile pour être vendu à prix d’or en aquariophilie. Sa robe unique attire en effet la convoitise, mais ceux qui achètent ce poisson à une vingtaine de centimètres oublient que celui-ci vit plus de trente ans et atteint au bout de quelques années un bon mètre pour plus de cinquante kilos ! Il est hermaphrodite successif, c’est-à dire qu’il naît femelle avant de changer de sexe lorsque sa taille s’approche du mètre. Il vit en solitaire ou en couple et veille sur une zone de récif qui est à la fois sa zone de chasse et sa demeure. Son aspect placide et ses couleurs chatoyantes ne font pas penser, comme les carangues par exemple, que l’espèce est un super carnassier ! En effet, le napoléon est opportuniste et peut se nourrir aussi bien de petits poissons que de langoustes et crabes, voire d’étoiles de mer. Il chasse aussi régulièrement avec d’autres prédateurs, comme les carangues bleues. Cela lui permet parfois de capturer des proies qui, en temps normal, seraient trop rapides pour lui. Les jeunes jusqu’à une dizaine de kilos se rencontrent également à l’intérieur des lagons, parfois dans très peu d’eau. J’en ai vu à plusieurs reprises avec des becs de canne et il m’est arrivé d’en capturer à l’aide de crevettes destinées aux bonefish ou aux triggerfish. Dans les lagons profonds, il est aussi possible d’avoir des adultes qui élisent domicile autour de grosses patates coralliennes et y de meurent des années durant.
Première rencontre aux Seychelles
J’ai pris mes premiers napoléons il y a une vingtaine d’années, aux Seychelles. Il s’agissait systématiquement de petits spécimens de trois à une dizaine de kilos, que je piquais au hasard en prospectant le récif. C’était toujours une superbe surprise et, on peut le dire, une rencontre du troisième type. Cependant, je n’arrivais pas à le pêcher spécifiquement et toutes ces rencontres étaient vraiment fortuites. Je me mis à essayer de le chercher plus activement, peignant les failles coralliennes dès que l’occasion se présentait. J’en capturais quelques-uns, toujours des juvéniles. Mais, un jour, sur l’atoll de Farquhar, après avoir combattu un beau Lutjanus bohar, je vois apparaître une grosse masse bleue devant moi. Je relance immédiatement mon streamer une brush fly noire en 6/0 montée sur du 100 centièmes… Je n’ai quasiment pas le temps de stripper que la bête se rue sur la mouche et l’avale tout rond. Je ferre et lève ma canne en soie de 12, qui se plie jusque dans la poignée en liège. Je suis relié à un dragster qui plonge vers les patates coralliennes à toute vitesse. J’essaie de contrer le rush mais impossible, la soie file et tout d’un coup se détend. Je viens de perdre toute la tête de lancer, coupée net dans le corail ! L’année suivante, j’ai à nouveau l’occasion de croiser le fer avec un de ces sous-marins aquatiques. Nous sommes en bateau cette fois, à l’intérieur du lagon de Providence, et mon ami Jean-Jacques capture une belle Caranx Ignobilis qui, en se débattant en surface en fin de combat, attire un napoléon que j’estime aujourd’hui autour des cent kilos. Je vais lui présenter mon artificielle, toujours montée sur du 6/0 ultra renforcé, et je me souviendrai toute ma vie le voir se diriger tranquillement vers elle et l’aspirer comme un ombre prendrait une imitation de gammare taille 20 !
Un petit souvenir
Au ferrage qui a été appuyé, le poisson n’a pas bougé une nageoire. Il est resté sous le bateau à attendre autre chose à se mettre sous la dent. J’ai eu beau tirer sur la canne, absolument rien ne se passait. J’ai alors eu une idée lumineuse ! J’avais des gants et comme ma canne me servait autant qu’un pistolet à eau lors d’un duel de cow-boy, je décidai de combattre mon adversaire en direct ! J’attrape alors la soie à la main et commence à la ramener. Cette fois, mon labre géant se rend compte que quelque chose ne tourne pas rond et voit rouge… L’énorme poisson me met un démarrage que je n’attendais pas aussi violent. Ma soie a une âme en tresse et résiste à 100 lb (ce qui se faisait de mieux à l’époque). Je la serre donc de toutes mes forces à l’aide mon gant et ne lâche rien ! Le deuxième départ est encore bien plus puissant et, malgré ma main toujours fermée, je vois l’âme de la ligne glisser entre mes doigts et ressens une douleur anormale sur l’index de la main droite. J’ouvre alors le gant, un peu contraint et forcé, et m’aperçois que la soie a cisaillé le cuir, mais aussi ma peau. Elle passe maintenant à l’intérieur de mon doigt pour ressortir dénudée de l’autre côté. La gaine en plastique a apparemment craqué et la tresse interne m’est rentrée dans l’index jusqu’à l’os. Je ne contrôle plus grand-chose et mon gros napoléon me fausse tranquillement compagnie en rejoignant le récif et en coupant la soie, ou ce qu’il en reste. Il me laisse quand même un souvenir que je garde encore aujourd’hui en écrivant ces lignes : une cicatrice très propre juste au-dessus de la première phalange… Cette aventure – et non pas mésaventure – ne fit qu’amplifier l’intérêt que je portais à cette espèce unique. Il me fallait, un jour à la mouche, en sortir un gros ou au moins un beau, c’est-à-dire un mâle. Je continuais lors de mes nombreux voyages en mer à avoir, de façon anecdotique, quelques occasions trop rares et qui se finissaient systématiquement par une casse lorsque j’attelais des sujets adultes.
Superbe Polynésie !
Il y a quelques années, je me mis à prospecter des atolls éloignés de Polynésie française et je me rendis compte très vite que le napoléon était encore bien présent sur les zones les moins affectées par l’homme. J’en prenais de plus en plus mais n’arrivais toujours pas à sortir les plus gros qui, grâce à leur incroyable puissance, arrivaient toujours à regagner leurs caches de corail. L’observation de ces poissons me montra que les beaux spécimens apparaissaient presque toujours après la capture d’une autre espèce, carpe rouge notamment, et surtout carangue bleue. Je pus remarquer que les carangues bleues, qui vivent le plus souvent en banc de trois à une dizaine d’individus, pouvaient réellement venir chasser sur le tombant du récif dans très peu d’eau, presque à s’échouer parfois, les napoléons suivant juste derrière ! J’avais, depuis longtemps, travaillé sur mes montages pour ces pêches brutales, refaisant toutes mes boucles de soie en les ligaturant et les renforçant, utilisant seulement les lignes les plus solides du marché qui sont, selon moi, de nos jours, la série Sonar Titan 100 lb de Scientific Anglers, fabriquant des bas de ligne en fluorocarbone de 140 lb, pour résister à l’abrasion au moins un peu. Bref, rien ne doit être laissé au hasard dans ce genre de baston tropicale !
Le jour J !
Enfin, j’eus l’opportunité attendue ! Après avoir relâché une bleue, un gros napoléon se mit à patrouiller dans la dernière vague, le dos parfois en dehors de l’eau. Mon premier lancer fut le bon : mon streamer blanc et bleu arrivant juste devant lui et dans une faible profondeur. Il fit l’effort de chasser ma mouche et de s’en saisir. Je bloquais alors ma soie et commençais à le tracter vers le récif. Je ne lâchais rien lors de ces tentatives de rushs successifs pour regagner la cas sure et le montage tint bon jusqu’au moment où, profitant d’une vague un peu plus forte, je réussis à le faire glisser dans quelques centimètres d’eau. En ayant maintenu mon adversaire dans une faible profondeur, je ne lui ai pas permis d’utiliser la formidable puissance de son corps trapu et de sa large queue.
Cette fois, j'ai gagné
Franchement, ce poisson m’a donné autant d’émotions que la prise de mon premier permit. Pouvoir en admirer un d’aussi près est exceptionnel. J’ai peaufiné cette technique depuis et suis content de dire que j’ai réussi à faire prendre de beaux napoléons à pas mal de pêcheurs aujourd’hui ! Bien sûr, ce poisson est rare et très peu d’endroits, malheureusement, per mettent ce genre de coup de ligne. Il n’empêche que l’espèce est mythique et protégée quasiment partout de nos jours, ce qui devrait faire augmenter nos chances de rencontres. Le napo léon a une place à part chez nombre de peuples de la mer dans le Pacifique, c’est une merveille naturelle que l’on doit respecter pour avoir la chance de l’observer encore un peu.