Les sabots dans l’eau, Farceur et DSKA s’offrent une petite pause. Ces deux chevaux de trait ardennais, des hongres âgés de 11 ans, participent à sept jours de labour sur la Risle et l’Andelle, deux rivières euroises classées en première catégorie. « Ils tirent une sorte de herse, un outil conçu spécifiquement pour ce genre de travaux, une machine avec des dents qui travaille le substrat, le remobilise », décrit Stéphane Delpeyroux, responsable développement de la fédération de pêche de l’Eure.
Concrétionnement et colmatage
Dans les rivières calcaires de ce département, le substrat qui sert de support de ponte aux salmonidés (truites farios, truites de mer et ombres) a en effet tendance à se concrétionner et/ou à se colmater : « Les eaux sont très calcaires et les cailloux se retrouvent soudés, collés, agglomérés par une microflore, détaille Stéphane Delpeyroux. C’est le concrétionnement. Ce phénomène est accentué par des actions humaines comme l’agriculture et l’assainissement, ou l’absence de végétation sur les berges. Le colmatage, c’est autre chose : pour faire simple, ce sont des sédiments fins qui se mettent entre les cailloux et limitent l’apport d’oxygène et donc de vie sous les graviers. » La herse tirée par les chevaux va séparer les cailloux, briser les concrétions, aérer et nettoyer le substrat. Après l’opération, les radiers de la Risle et de l’Andelle sont tout propres ! Au lieu de fonds durs comme des planchers, les salmonidés trouveront des terrains de jeux propices à leur reproduction. La survie des œufs et des alevins est aussi favorisée.
Des résultats positifs
La solution est écologique, originale et économique (700 euros environ par jour de travail, financés par l’Agence de l’eau Seine-Normandie et la FNPF). L’entreprise qui intervient travaille au maximum sur une zone de 1 000 m2 par jour. « En amont, on avait cartographié les zones de frayères, précise Stéphane Delpeyroux. On les notifie à l’entreprise qui intervient dans la rivière, on accompagne d’ailleurs ces opérations sur le terrain ». Et les résultats sont là. En 2022, Victor Zunigas, technicien à la fédération, expliquait qu’« après travaux, les zones se retrouvent très fréquentées, avec une reproduction parfois multipliée par 10. On effectue des rotations et on revient sur les secteurs tous les trois à quatre ans car le colmatage et le concrétionnement reviennent ».
D'autres problématiques
Évidemment, ce nettoyage des frayères n’est pas une fin en soi et d’autres actions sont menées en parallèle, comme la plantation de ripisylve. « Les populations de salmonidés diminuent, notent nos interlocuteurs. On mène des actions pour aider à la reproduction, mais dans le même temps il y a des dégradations de populations liées à d’autres facteurs. On est sur un grand plateau agricole et l’agriculture fait beaucoup de mal aux rivières. » Le réchauffement climatique, les pollutions, le cormoran, ou encore le braconnage sont aussi des problématiques qu’il faut prendre en compte et sur lesquels la fédération de pêche de l’Eure travaille.
Trois chevaux mobilisés
La fédération de pêche de l’Eure travaille avec Bruno Buttard, spécialiste des travaux par traction animale (débardage de troncs d’arbres, arrachage d’arbustes…). Bruno travaille dans les rivières depuis 25 ans maintenant. Pour les travaux sur la Risle et l’Andelle cette année, il a sollicité trois de ses cinq chevaux : Quéteur, Farceur et DSKA. Très musclés, ils pèsent chacun 700 à 800 kg. « Ils aiment bien travailler dans l’eau, témoigne Bruno Buttard, 61 ans. Il ne faut pas leur faire peur, il faut faire du repérage pour les mettre dans de bonnes conditions. Mais quand j’arrive, la fédération a fait en amont un travail formidable en délimitant les zones. La herse est en fait un outil parfaitement adapté, que j’ai dessiné et inventé. Un atelier de soudure l’a fabriqué. Elle pèse au moins 150 kg et a ce qu’on appelle des « roues de jauge » pour régler la profondeur des dents qui raclent le sol. On y va progressivement. c’est tellement dur que, parfois, on passe une demi-journée sur quelques centaines de mètres carrés. Quand les chevaux sont fatigués, on les arrête, on travaille avec du vivant. On ne va pas les épuiser. »
A la main
D’autres fédérations ou associations profitent des entreprises de traction animale pour déconcrétionner et décolmater les frayères. Mais il est tout à fait possible de réaliser ces opérations à la force des bras. Dans les Alpes-Maritimes par exemple, l’AAPPMA des Amis de la Gaule a mené une action mécanique à l’aide de râteaux et de pics sur le Loup. Les bénévoles de l’association étaient aidés du personnel de la fédération de pêche et d’étudiants en BTS de l’École de la gestion et de la protection de la nature de Nice : en une journée, avec tous ces bras, 40 placettes de frayères potentielles avaient été grattées et aménagées.