La différence entre une pêche passable et réussie tient souvent à quelques détails, que certains pêcheurs ne perçoivent même pas et que beaucoup d’autres sous-estiment et négligent. C’est particulièrement vrai dans la pêche au toc, technique en apparence très simple, mais dont l’adaptation aux conditions de pêche et aux comportements des truites tient à une somme de détails et de nuances. La tension appliquée à la bannière en est un parfait exemple. En effet, selon que celle-ci est plus ou moins tendue, la ligne ne se comporte pas de la même façon et la présentation de l’appât est très différente.
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Trop tendue
Lorsque nous débutons au toc, on a toujours tendance à pêcher avec une bannière très tendue. C’est en effet de cette façon que l’on réduit plus facilement les accrochages au fond, mais aussi qu’on ressent le mieux le comportement de la ligne et l’évolution du montage. Mais une bannière très tendue à de fortes répercussions sur le comportement de la ligne et la présentation. La première est le risque de faire décoller la plombée du fond. Résultat : on passe trop haut, ce qui peut être rédhibitoire car en quittant la « couche limite », cette petite couche d’eau au ras du fond où la vitesse du courant est moindre et où se postent le plus souvent les truites, le montage évolue non seulement trop haut, mais aussi trop vite. La seconde est le risque de dragage, c’est-àdire le fait que l’appât traverse les veines d’eau au lieu de les suivre naturellement, une évolution très suspecte aux yeux des truites. En effet, hormis les poissonnets qu’elles consomment occasionnellement, les larves aquatiques qui sont la base de leur alimentation sont portées par le courant et suivent naturellement les veines d’eau. Or, dès que l’on pêche avec une bannière tendue au-delà de l’aplomb de la canne, la ligne est retenue et ne dérive plus naturellement, et l’appât drague.
Des touches ratées
Enfin, une bannière très tendue provoque souvent un nombre important de touches manquées. Les truites ressentent la tension de la ligne dès qu’elles prennent l’appât et le recrachent aussitôt, le plus souvent avant de nous laisser le temps de ferrer efficacement. On a des touches, mais des ferrages à vide et un pêcheur qui peste, accusant les truites de mal mordre. Pourtant, une bannière un peu moins tendue aurait laissé un poil plus de temps pour ferrer avant que l’appât n’ait été recraché. Attention cependant, s’il ne faut jamais pêcher avec une bannière très tendue, il existe aussi des nuances à ce niveau, notamment en fonction de la variante de pêche au toc pratiquée, mais aussi de paramètres tels que le poids et la composition de la plombée, l’action de la canne ou la distance de pêche. Le sujet n’est donc pas simple, comme toujours lorsque l’on parle de nuances. Mais nous pouvons prendre trois cas de figure types pour y voir plus clair.
Les petits coups
Le premier est celui de la pêche au toc traditionnel, c’est-à-dire avec une pêche à l’aplomb du scion, une canne souvent assez longue (4,50 à 6 m) et une plombée moyenne à lourde. La canne soutient la plombée, qui est donc peu ressentie par la truite lorsqu’elle mord. La prospection consiste le plus souvent à déposer le montage dans des coups de dimensions modestes (petits profonds de ruisseaux, remous de petites rivières ou de torrents) où on le laisse plus ou moins longtemps selon que l’on veuille insister ou pas. La bannière étant verticale ou presque, et la plombée généralement bien soutenue, la présentation est bonne même avec une bannière très tendue. Mais celle-ci va alors provoquer beaucoup de touches manquées. Elle ne doit donc pas être trop tendue, pour nous laisser le temps de ferrer, mais aussi pour s’assurer que la plombée reste bien au ras du fond et éviter de pêcher décollé.
À rouler sur le fond
La variante pouvant être qualifiée de pêche « à gratter » est différente. Elle se pratique cette fois en rivière, avec une ligne qui pêche bien au-delà du scion (parfois à 20 ou 30 m dans les très grandes rivières), et avec une plombée lourde à très lourde, destinée à rouler ou à glisser sur le fond. Cette variante est destinée aux rivières d’un certain gabarit et à des conditions de débit assez soutenu. Selon l’angle de lancer, le montage drague plus ou moins, c’est inévitable, et la dérive n’est jamais vraiment « propre ». Mais comme le débit est soutenu et que l’appât est souvent gros, un beau ver le plus souvent, elle est efficace si l’appât reste au ras du fond et n’évolue pas trop vite. La bannière doit évidemment être assez tendue pour faire dériver le montage et bien contrôler la ligne, mais surtout pas trop. Sinon elle fait immédiatement décoller la plombée et l’appât évolue trop haut et trop rapidement. Il faut donc non seulement ne pas trop tendre la bannière, mais aussi savoir attendre un peu avant de le faire, afin de laisser descendre le montage au fond et boucler la ligne. En outre, laisser une bonne distance entre la plombée et l’appât (60 à 80 cm) permet d’éviter que la truite ne soit rapidement sur le raide et lui donne le temps d’affermir sa prise, et nous de ferrer efficacement.
Lire le courant
Quant à la pêche en dérive naturelle, elle est basée sur une prospection au-delà de l’aplomb de la canne, et surtout une ligne portée par le courant, qui assure une présentation très naturelle lorsqu’elle est bien pratiquée. Dans ce cas particulièrement, une bannière trop tendue n’est pas efficace. La tension qu’on lui applique doit être bien ajustée, suffisamment tendue pour bien la contrôler et soutenir la plombée afin qu’elle dérive sans s’accrocher, mais surtout pas trop pour ne pas la faire décoller et draguer l’appât. C’est toujours une question de compromis, qui doit être constamment ajusté en fonction du poids de la plombée, de la distance de pêche et donc de la longueur de bannière et de son angle avec la surface et du couple vitesse / profondeur prospecté. Une plombée lourde doit évidemment être plus soutenue. C’est pour cette raison que lorsqu’il faut pêcher lourd en début de saison, beaucoup pêchent avec une bannière assez tendue. Mais avec le risque de moins bien présenter et de manquer plus de touches. Alléger un peu la plombée et pêcher avec une bannière moins tendue peut permettre d’obtenir une dérive équivalente, mais avec une meilleure présentation et moins de manqués. Lorsqu’il faut pêcher léger en revanche, une bannière tendue est totalement rédhibitoire. Avec une plombée légère, il faut absolument appliquer un contrôle de bannière le plus léger possible, un simple accompagnement de la ligne. Le montage dérive alors naturellement, juste au-dessus du fond si la plombée est bien ajustée au couple vitesse / profondeur. La truite n’étant jamais «sur le raide» lorsqu’elle mord, les touches sont « propres » et les ferrages efficaces. Qu’importe si la ligne « boucle » sous l’eau lorsque l’on pêche en amont, et même tant mieux, car c’est une des meilleures façons de pêcher très léger à distance.
Étaler les plombées lourdes
Lorsque l’on pêche lourd en dérive naturelle, on a tout intérêt à composer une plombée à la fois étalée et surtout dégressive. La concentration du poids côté canne permet ainsi de la soutenir un peu plus avec une bannière légèrement plus tendue, tout en laissant de la souplesse au montage.
Astuces : le rôle de la canne et de la main gauche
Ajuster la tension de la bannière passe par l’inclinaison de la canne, mais aussi par la main qui tient la réserve de bannière (la gauche pour les droitiers, et inversement). Selon le comportement de la ligne et chaque fois que ce sera nécessaire, la canne pourra être un peu abaissée pour détendre la bannière ou au contraire légèrement relevée pour la tendre un peu plus. Attention, on parle là d’ajustement et de mouvements mesurés et de faible amplitude. Dans le même temps, la main gauche pourra rendre un peu du fil tenu en réserve en s’approchant de la canne, ou au contraire s’en éloigner un peu pour augmenter la tension. Selon les cas, on ajustera plutôt avec la canne ou plutôt avec la main gauche.