C’est au cours d’une session de pêche aux leurres sur l’Isère, près d’Albertville, il y a quelques années, que j’ai fait la connaissance de Sylvain. Le voir alors évoluer avec un cadre à la main avait attiré mon attention, et en journaliste curieux, j’avais engagé la conversation. Très vite, j’ai compris que derrière cette singularité se cachait un pêcheur talentueux et malin, exactement comme je les aime. J’avais donc arrêté volontairement ma partie de pêche pour le suivre quelques heures. Avec une belle pédagogie, il m’avait expliqué sa démarche et sa connaissance de la rivière. Nous nous étions alors promis de nous retrouver.
Toute fin de saison
Nous y voilà, et depuis, Sylvain a encore considérablement progressé. Il s’est forgé une solide réputation régionale et, à mes yeux, il est aujourd’hui le meilleur preneur de truites de l’Isère « médiane », toutes techniques confondues. Cette rivière de piémont, réputée pour ses beaux poissons, n’est pourtant pas toujours simple à aborder. Ses eaux sont souvent troublées par la fonte des neiges, et elle subit les contraintes de l’hydroélectricité. La pêche n’y devient vraiment productive que lorsque les eaux s’éclaircissent. À l’automne, c’est souvent le cas, mais il a fallu attendre les tout derniers jours de la saison, début octobre dans les départements des Alpes du Nord. Sylvain a choisi de pêcher sur le tronçon qu’il maîtrise le mieux, entre la confluence de l’Arly et celle de l’Arc. La rivière a déjà un certain gabarit, avec un lit intermédiaire d’environ 50 mètres de large, ce qui semble propice à la pêche au vairon ou aux leurres. Toutefois, son profil en tresse forme des bras plus étroits, offrant d’excellentes opportunités pour la pêche au toc en dérive naturelle, technique de prédilection de Sylvain. C’est d’ailleurs en traversant sans hésitation un radier au courant pourtant très puissant, pour atteindre l’un de ces chenaux, qu’il entame sa session.
Cadres et dendros
Très classiquement, il commence au ver, mais pas n’importe lequel, comme il prend soin de me l’expliquer. « Même quand le niveau est relativement bas, comme aujourd’hui, les eaux de l’Isère ne sont jamais vraiment claires. Il faut donc une esche assez volumineuse pour créer un bon signal visuel et des effluves. Le dendro, plus lourd que le ver de terreau ou la teigne, se plaque également mieux sur le fond lors des dérives. C’est mon option de base sur l’Isère, quelle que soit la saison ». Le premier lancer est l’occasion de décortiquer la gestuelle liée au cadre. Celui-ci est tenu dans la main gauche et au moment de l’impulsion il est légèrement incliné dans la direction souhaitée. Le fil fluo se dévide parfaitement, rendant le tout si simple que l’on en vient à se demander pourquoi utiliser un moulinet. L’impact de la ligne se fait nettement en amont, de manière à bien laisser descendre la plombée, ainsi l’esche devient pêchante à peu près en face du pêcheur. La dérive se fait ensuite canne assez haute et bannière presque tendue avec un appât qui va légèrement gratter sur le lit de galet, tout cela en essayant de « rentrer » le moins possible.
Première prise
La première veine d’eau, longue d’une bonne vingtaine de mètres, est explorée assez rapidement, en quatre ou cinq dérives. Pourtant, malgré le fait qu’il s’agisse de l’une de ses coulées préférées, Sylvain n’enregistre aucune touche. Il déplace vers un autre îlot central pour prospecter la rive opposée. « Il ne sert à rien d’insister. Si une truite est en phase d’alimentation, elle prend généralement dès le premier bon passage. Sur l’Isère, même au toc, il faut couvrir un peu de terrain pour trouver des poissons actifs, car ils ne sortent jamais tous en même temps », m’explique-t-il, très confiant dans sa technique. Le poste est plus homogène que le précédent, mais c’est dès la dérive initiale qu’il enregistre sa première touche de la journée. Il m’annonce d’ailleurs le poisson dès les premiers gratouillis. Après avoir bien attendu pour être sûr que son esche volumineuse soit convenablement engamée, il déclenche un ferrage vraiment très appuyé. Je comprends rapidement pourquoi à la courbure de sa canne. Le combat s’engage, et 20 minutes après le début de la partie de pêche, une fario très énergique de 31 cm est mise à l’épuisette. Sylvain fait partie de cette nouvelle génération de pêcheurs au toc en dérive naturelle qui utilise des cannes anglaises à action parabolique. Comme beaucoup de pêcheurs au toc, je reste assez sceptique face à cette tendance. Il m’a néanmoins prouvé, qu’à condition de ferrer très fermement pour bien planter l’hameçon, il ne manquait pas plus de touches qu’avec une canne plus dure.
Belle série
C’est le commencement d’un bel enchaînement qui le mène à la prise de quatre nouveaux poissons, tous de même taille. Je remarque que Sylvain est très pragmatique. Il prospecte les pools aussi bien en remontant qu’en descendant, au gré des configurations. Vu la largeur et la couleur de l’eau, les contraintes de discrétion sont réduites, et l’accent est donc mis sur l’optimisation de la présentation. Sa parfaite connaissance des possibilités de déplacement entre les différents bras de la rivière fait aussi une grande différence par rapport aux autres pêcheurs, qui hésitent souvent à s’y aventurer. À chaque touche, l’impressionnante courbure de la canne me laisse espérer une très belle prise pour le reportage. « L’Isère est effectivement réputée pour ses grosses farios, et j’ai pris ici de nombreux poissons de plus de 50 cm. Mais cela ne se produit pas à chaque fois. En réalité, l’intérêt principal de ce tronçon intermédiaire réside dans le ratio entre le nombre de prises et la taille moyenne des poissons, qui est excellent pour ceux qui, comme moi, n’aiment pas se contenter d’une ou deux touches par sortie. » À peine a-t-il terminé cette phrase qu’il attrape une nouvelle fario de 38 cm, la sixième de la session en seulement 1 h 30. Ce n’est peut-être pas une prise trophée, mais c’est déjà un très beau poisson, illustrant parfaitement ses propos.
À la bouboule
Après un petit temps mort, notre Savoyard décide de passer en nymphe. Il modifie rapidement sa ligne, optant aujourd’hui pour un montage avec flotteur. Il s’agit de la fameuse « bouboule » popularisée par Laurent Jauffret. « L’intérêt principal de la pêche au flotteur est de permettre des dérives à grande distance très proches de la berge et parallèles à celle-ci, là où une ligne classique a toujours tendance à rentrer. J’alterne entre nymphe et dendro au gré de mes intuitions et des éclosions, car, à l’exception du début de saison où le ver est nettement supérieur, je n’ai pas encore déterminé dans quelles conditions l’un ou l’autre l’emporte. Ce qui est certain, c’est que la nymphe me permet d’attraper de gros ombres que je ne parviens pas à capturer avec le ver », m’explique-t-il en se dirigeant vers une nouvelle coulée.
En vieux briscard de la pêche à la bolognaise, j’observe attentivement comment la ligne, portée par le flotteur, se comporte dans un courant aussi rapide. Effectivement, tout va très vite, mais la ligne pêche efficacement le long des blocs sous les frondaisons. Un léger vent remontant la coulée permet de gonfler la bannière dans le bon sens. La touche ne se fait pas attendre, et Sylvain capture un septième poisson, marquant la fin d’une session riche en enseignements.
Le cadre, entre nostalgie et efficacité
C'est du côté des pêcheurs suisses du Léman qu’il faut probablement rechercher l’origine de la pêche au cadre. Cette pratique s’est ensuite popularisée dans les années 1970 et 1980 parmi les amateurs de corégones dans les grands lacs jurassiens ou alpins français, tels que le Bourget ou Annecy. Elle a également été adoptée à cette époque par des pêcheurs en rivière, notamment pour le vairon manié. Plus récemment, une poignée de pêcheurs savoyards au toc, en nymphes ou aux appâts naturels, l’ont adopté. Un bon cadre doit être verni et avoir des bouts arrondis pour permettre un déroulement fluide du Nylon. Ce choix n’est pas simplement nostalgique, il offre, à mon avis, de réels bénéfices en grande rivière par rapport aux moulinets à tambour fixe ou tournant : absence de perruques, possibilités de lancers longs et précis sans ouverture de pick-up ni recherche de fil dans les anneaux, allongement facilité des dérives, contact permanent et direct entre la main non directrice et la ligne ou le poisson lors des combats, fiabilité mécanique indiscutable et possibilité de mouiller le « moulinet » sans aucun risque.
Son matériel
- Canne : Origine 3 m 80 de Native
- Fil corps de ligne : Chromos Fluo jaune 0,185 mm de Native
- Fil bas de ligne : NX 0,166 mm de Native
- Hameçons : 902 n°6 de Native
- Chest pack : 500 de Caperlan
- Chaussures : TX Canyon de La Sportiva